Publié par Thierry Martin le 31 octobre 2022

« Scènes de ma vie privée », roman, le nouvel opus de Patrick Besson

Patrick Besson n’aura pas le Nobel. Il n’aura que des lecteurs. Aucune bande rouge et automnale ne viendra barrer la couverture de « Scènes de ma vie privée* », roman. Son ami, Eric Neuhoff, aurait pu écrire cette phrase s’il ne l’avait pas déjà utilisé pour un autre, dans Service Littéraire d’octobre. Publié dans L’Huma, Le Point ou Le Figaro Littéraire, que ce soit un roman, une nouvelle, un récit autobiographique, un texte de Patrick Besson – dont je suis l’œuvre depuis mon adolescence – est immédiatement reconnaissable. Dès les premières phrases, il y a un son. Le bes-son. Un ton. Ironie méchante. Sourire mordant. Accessible à certaine mélancolie. Sens de la formule définitive sur fond de dégagement. Classé dans la mouvance hussarde avec Neuhoff qui vient de sortir Rentrée littéraire* qui se passe dans le même milieu, celui des écrivains et des éditeurs.

  • Page 102. « Je lui souris. Elle ne me rendit pas mon sourire. À 2 ans et demi, les enfants rient ou pleurent mais ne sourient pas, à l’instar des adultes russes. Aucun sourire, par exemple chez Natacha Kouraguine. »
  • Page 121, un couple d’amis du narrateur visite la maison de John Keats à Rome. « – Mort à 25 ans comme moi, dit Natacha. – Tu as 25 ans mais tu n’es pas morte. – Je suis marié : c’est pareil. – Le mariage, c’est toi qui en a parlé la première. – Parce que je suis suicidaire. – Charmant début de voyage de noces. »
  • Page 28, à Éric l’un de ses éditeurs « [nous] qui avons épousé des filles jeunes et qui nous sommes rendu compte que ça nous vieillissait ».
  • Incorrect oblige, page 43 : « La blondeur dorienne chère aux Grecs anciens avant que leurs ennemis bruns – Perses, Romains, Ottomans, Turcs – ne la noircissent. »

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Je plaisantais en aparté avec Eric Naulleau lors d’une récente soirée littéraire au club We are sous l’égide du Prix des Hussards, lequel convenait que le récent récipiendaire du prix Nobel de littérature en était l’exacte opposé, tant sur la forme que sur le fond. Stylistiquement, nous sommes passés chez l’écrivaine (que c’est moche) de la pauvreté à l’indigence. Ainsi le maigre incipit du Jeune homme* de la nobélisée, à peine un pitch : « Il y a cinq ans, j’ai passé une nuit malhabile avec un étudiant qui m’écrivait depuis un an et avait voulu me rencontrer. » Fin de l’histoire pour la mère Ernaux, au bout du rouleau après trente pages.

En revanche chez Patrick Besson, dès l’incipit le narrateur se souvient :

« Mourir le cœur lourd. Cette expression – le cœur lourd – dont j’ai vérifié, Zoé partie, l’exactitude. L’explication de l’amaigrissement pendant un chagrin d’amour : le cœur pesant deux ou trois fois son poids habituel, il faut alléger le reste du corps si on ne veut pas tomber. Il y a aussi tourner en rond. Et faire les cent pas. Dans notre appartement de la rue des Trois-Frères (Paris XVIIIe), je tourne en rond et fais les cent pas. La chambre de Sabine est ma destination finale, avec son lit-bateau et ses livres illustrés. Il n’y a presque plus de jouets : Zoé en a emporté un certain nombre, ai jeté les autres. Les enfants ont trop de jouets. Les adultes aussi. (…) ».

Grasset lui a gentiment mis un grand bandeau rouge avec son prénom et en très gros son nom, c’est ça la classe.

Dans La Statue du commandeur*, les libelles qu’écrit Pouchkine pour égratigner le Tsar, font penser à ses billets parus dans L’Humanité, où il s’en prend aux courtisans socialistes qui vont à la gamelle du monarque républicain. Relire La vie quotidienne de Patrick Besson sous le règne de François Mitterrand*. En septembre 2012, une chronique de Patrick Besson parue dans Le Point s’en prend à la désormais nobélisée Annie Ernaux – wokiste avant l’heure – pour avoir dirigé un appel collectif à l’encontre de Richard Millet qui perdra son job chez Gallimard, et surtout fourni une « liste exhaustive de dénonciateurs qui restera dans l’histoire des lettres françaises comme la « liste Ernaux». Cette vieille dame indigne s’affiche avec le leader islamo-gauchiste Mélenchon dont les pensées nauséabondes se cachent derrière un antisionisme qui ne trompe plus personne ; elle appartient à ses écrivains de gauche, mais du côté du manche, comme Daeninckx, Polac ou Goupil. Les ai-je bien descendus ?* Critique littéraire acerbe, Patrick Besson, lui, s’en prend aux puissants – de gauche, forcément de gauche –, aux courtisés, participe aux polémiques publiques déclenchées par le journal L’Idiot international de Jean-Edern Hallier. Attaqué par Didier Daeninckx, celui qui se dit communiste non pratiquant lui consacre un féroce et désopilant pamphlet en forme de roman, intitulé Didier dénonce* (éditions Gérard de Villiers) où le Didier est dépeint en collégien alcoolique et délateur.

Mais en 2002, de bon cœur, Patrick n’hésite pas à co-signer une pétition demandant une « solution rapide et décente aux problèmes fiscaux de Françoise Sagan », condamnée pour une fraude fiscale sur ses revenus de 1994 et devant à l’État 838 469 euros. Problème que résolut Sarkozy, une fois président, avec son fils, héritier des droits d’auteur et des dettes, par un très long étalement des paiements. Grand Prince, Besson dira : « Françoise Sagan doit de l’argent à l’État, la France lui doit beaucoup plus : le prestige, le talent, un certain goût de la liberté et de la douceur de vivre. »

En exergue de son roman, ce vers de Corneille. « Elle est trop dans son cœur, on ne l’en peut chasser » qui donne le « La » au livre. En fait il y a six épigraphes, le dernier est de Labou Tansi : « Le roman est parait-il une œuvre d’imagination. » Ah, j’oubliais, le narrateur, s’appelle Lucien, pas Patrick.

Lucien, romancier français de 68 ans, est dans un drôle d’état depuis qu’il a été abandonné par sa femme, Zoé, éditrice (puis romancière) de 33 ans ; s’il est hébété, c’est de voir sa solitude prendre des airs de liberté, et sa séparation n’être qu’un doux leurre tant elle reste présente.

Scènes de ma vie privée* », roman, de Patrick Besson, Grasset, 188 p., 19€

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