
Jusqu’à présent, ce n’est qu’une nouvelle, une information succincte, sans détails.
La façon dont le nouveau chef de l’État colombien, Gustavo Petro, a annoncé que la Colombie achèterait à terme 16 avions de combat Rafale à Dassault Aviation est typique de son style de communication : incomplète, nébuleuse, avec des erreurs de financement et sans que le ministre de la Défense ait le droit d’élargir l’information et de répondre aux questions des citoyens. Dans un tel contexte, l’annonce a suscité une discussion chaotique dans la presse et sur les réseaux sociaux.
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Ce sujet demande pourtant plus d’informations et surtout beaucoup plus de réflexion. Il est vrai, il s’agirait d’une énorme dépense pour l’Etat colombien. Cet achat, cependant, ne serait pas un acte de gaspillage, ni un geste qui peut être défait d’un revers de la main. Ce serait une acquisition qui, au contraire, concerne la sécurité et la défense stratégique de 52 millions de Colombiens.
Le contrôle de ce qui se passe dans nos cieux est essentiel, surtout si on a le malheur d’être voisin d’un pays où la loi ne règne pas mais plutôt la volonté d’un dictateur belliqueux et désespéré. Nicolas Maduro a accepté l’installation sur le territoire vénézuélien non seulement des chefs des gangs narco-terroristes colombiens mais aussi –et ceci est le plus dangereux–, il s’est engagé dans une relation de dépendance vis-à-vis de la Russie de Vladimir Poutine. Après la rupture avec les États-Unis, le Venezuela s’est réarmé grâce aux Russes et aux Chinois, notamment dans le secteur aérien. Des magazines spécialisés affirment que Caracas dispose de 26 avions Sukhoi Su-30 en état de fonctionnement et 24 Hongdu K-8 chinois remotorisés, entre autres unités de combat aérien et de transport de troupes.
Peu de gens ignorent que Poutine tente de construire, au centre même du continent américain, un triangle de fer dont les bases sont le Venezuela, le Nicaragua et Cuba, pour défier militairement les États-Unis et le Canada, ainsi que le centre et le sud du continent. Poutine menace l’Europe, les États-Unis et l’Occident en général d’une catastrophe nucléaire s’ils l’empêchent de déchiqueter davantage l’Ukraine, de détruire son économie, ses sources d’énergie et d’assassiner sa population. La souveraineté maritime de la Colombie a déjà été défiée, devant les tribunaux internationaux, par la dictature d’Ortega au Nicaragua. Ce triangle et ses organisations visibles, tels que le Forum de Sao Paulo et le Groupe de Puebla, mènent déjà en permanence des campagnes de subversion idéologique et de guerre psychologique sur le continent latino-américain.
Bien qu’en 2018 la Colombie disposait de 121 avions de combat, soit près du double du nombre dont disposait le Venezuela à l’époque (57 avions et 44 hélicoptères), la corrélation s’est dégradée défavorablement pour la Colombie. L’armée de l’air colombienne dispose aujourd’hui d’une vingtaine de chasseurs-bombardiers remotorisés Kfir, fabriqués en Israël sur la base des Mirage 5 de Dassault Aviation. Ces avions, selon Gustavo Petro, approchent de l’obsolescence. A son tour, le Venezuela a commencé à s’équiper d’avions de combat russes, depuis 2008, avec l’achat d’unités Sukhoi Su-30MK2.
En juillet 2019, Bogotá a annoncé qu’elle disposait d’un fonds d’un milliard d’euros pour acheter de nouveaux avions de combat. L’opposition, aujourd’hui au gouvernement, a violemment critiqué cette initiative. Peu de temps après, la presse a appris que l’Espagne avait l’intention de vendre plusieurs Eurofighter EF-2000 d’occasion à Bogotá, mais heureusement, le gouvernement d’Ivan Duque étudiait également d’autres options, comme l’avion suédois Gripen (déjà en service au Brésil) et l’avion F-16 Block 72, de Lockheed Martin. Quatre mois plus tard, une délégation française de haut niveau s’est rendue à Bogotá pour proposer la vente de 12 Rafale C, dans le cadre d’un contrat de partenariat gouvernemental, avec financement des installations et des paiements échelonnés sur 5 ans à compter de la signature du contrat.
Le Rafale –un chasseur-bombardier de cinquième génération, cher mais excellent, qui reflète la préférence du ministère colombien de la Défense–, est capable d’emporter 190 kilos de missiles d’une portée de plus de 100 kilomètres. Le Rafale, selon Jetline Marvel, possède d’autres caractéristiques techniques : sa vitesse maximale est de Mach 1,8 ; il est armé d’un missile air-sol d’une portée de 70 kilomètres « qui peut tout détruire dans ce périmètre ». Il s’agit d’un avion de 10 tonnes avec une masse au décollage de 24,5 tonnes, avec une « autonomie de 3 700 kilomètres et pouvant atteindre une altitude de 15 240 mètres ». Autre innovation Rafale : la ʺfusion de données multi-capteurs » qui permet au pilote de prendre des décisions tactiques au lieu d’être un opérateur de capteurs.
Avoir ce type d’avion suppose avoir plus que simplement des pistes, des hangars et des systèmes radar de protection appropriés. Cela exige aussi une équipe technique irréprochable et, surtout, que la Colombie ait une doctrine militaire à la hauteur, très différente de celle actuelle. Déchirée et démoralisée par le nouveau président et son gouvernement et pour des raisons politiques, la Force publique colombienne subit des coups déstabilisants, infligés à l’armée et les forces navales et aériennes, dans le but d’affaiblir leur fonctionnement, leur doctrine et leur réactivité offensive/défensive
L’achat du Rafale pourrait échouer si le président Petro accentue sa politique de sortie de l’orbite occidentale. Remettre en cause le pacte existant entre la Colombie et l’OTAN et s’aligner sur Moscou, Pékin et Téhéran reviendrait à s’éloigner de valeurs spécifiques telles que « la démocratie, le respect des droits de l’homme et la valeur de la sécurité ». Cela pourrait empêcher Paris de valider la vente de ces avions à la Colombie.
Il y a l’histoire d’un revirement par la France, pleinement justifié, pour des raisons politiques dans une transaction de vente d’armes. Cela s’est produit, en effet, avec deux navires de guerre polyvalents type Mistral, payés en 2011 par Moscou, avant l’annexion illégale de la Crimée. La vente, et surtout la livraison des navires, a été annulée en novembre 2014 par le président François Hollande. Les États-Unis, la Grande-Bretagne et les pays d’Europe de l’Est ont salué l’attitude de Hollande. Paris a restitué un milliard et demi d’euros à Moscou. Gustavo Petro et son gouvernement devraient garder cela en mémoire.
Depuis mai 2017, avec le soutien des États-Unis, la Colombie a acquis le statut de « partenaire extra-continental » de l’OTAN, au même titre que l’Australie, la Corée du Sud et le Japon. C’était le premier pays d’Amérique latine à franchir ce pas. En décembre 2021, sous la direction du président Ivan Duque et de la vice-présidente et ministre des Affaires étrangères Marta Lucía Ramírez, la Colombie est devenue un « partenaire global » de l’OTAN, ce qui engage le pays à partager les tâches dans les domaines de la ʺsécurité, de la cybersécurité, du déminage, de la lutte contre le narcotrafic, la lutte contre la corruption et le changement climatique, avec les autres membresʺ.
Les dictatures de Chavez et de Maduro ont tenté d’empêcher les pourparlers entre la Colombie et l’OTAN. En décembre 2016, Caracas gesticulait contre cette gestion diplomatique. Après la signature du premier pacte, Nicolas Maduro avait qualifié cet acte de « menace pour la paix ».
En avril 2019, le ministre vénézuélien Jorge Arreaza révélait la signature d’un ʺtraité d’association militaire avec la Russie, la Chine et la Turquie » et que depuis 2001 le Venezuela « importait des hélicoptères, des véhicules blindés, des fusils et d’autres équipements russesʺ.
Le ton est monté lorsque le leader chaviste Pedro Carreño a déclaré aux journalistes de Globovisión, le 11 septembre 2019, qu’ʺune agression armée de la Colombie » aurait une « réponse rapideʺ puisque les 20 Sukhoi Su-30MK2 vénézuéliens étaient « capables d’atteindre Bogotá en 11 secondesʺ. Oui, en ʺ11 secondes », a dit le bureaucrate chaviste (il aurait pu dire « en 30 minutesʺ). Estimant que ce lien de la Colombie avec l’OTAN était pour attaquer le Venezuela, Carreño a souligné que « face à une agression militaire venant de Colombie, nous allons d’abord planter [notre] drapeau à Bogotá ». Et il prévient : ʺNous avons les coordonnées du Palais Nariño, du quartier d’El Nogal, où vit l’oligarchie, du barrage d’El Quimbo et de la raffinerie de Barrancabermeja, qui est la plus grande de Colombie. Ou est-ce que les Colombiens croient que nous sommes des connards et que nous allons nous laisser envahir ? »
Le régime vénézuélien n’a jamais désavoué ces déclarations paranoïaques de Pedro Carreño. Au contraire, Nicolas Maduro annonçait, à l’époque, qu’il déploierait des batteries de missiles anti-aériens le long de la frontière avec la Colombie.
L’éventuel achat de 16 avions français de combat, pour moderniser et renforcer l’armée de l’air colombienne, va sûrement déclencher des cris d’orfraie à Caracas. Dès lors, pour cette seule raison, la question de l’avion Rafale doit être abordée, tant par l’opposition que par le gouvernement, avec sang-froid et sans chercher à exploiter cette question de manière partisane. La question n’est pas de savoir si la Colombie a besoin ou non de ces avions, ou si cette opération coûtera très cher, mais plutôt si la Colombie doit ou non adapter rapidement ses systèmes de défense –terre, mer, air–, face à une région de plus en plus instable et agressive.
Il n’est pas vrai que le biréacteur Rafale soit l’avion de combat le plus cher. Jetline Marvel estime que les deux plus chers sont le Lockheed Martin F35C, qui coûte environ 135,8 millions de dollars pièce, et l’Eurofighter Typhoon, qui vaut 124 millions de dollars. Le Rafale coûterait, selon cette publication, 115 millions de dollars. Le moins cher serait le Saab Jas 39 Gripen (85 millions de dollars) mais il est techniquement inférieur au Rafale. Selon l’armée suisse, une faiblesse du Gripen est « son manque d’autonomie à vitesse de pointe ».
Reste à savoir comment la réouverture des relations entre le Venezuela et la Colombie, ordonnée par Gustavo Petro, va évoluer et quelle forme prendra le rapprochement entre Petro et Maduro. Sans ignorer, bien sûr, les effets, sur la Colombie et l’hémisphère, de l’isolement international de Poutine à cause de son agression impérialiste contre l’Ukraine.
© Eduardo Mackenzie (@eduardomackenz1) pour Dreuz.info. Toute reproduction interdite sans l’autorisation écrite de l’auteur.
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