Je vais, pour une fois, traiter d’un sujet très différent de ceux dont je traite en général.
David Crosby est décédé le 19 Janvier 2023. Il avait quatre-vingt-un ans. Il avait fondé les Byrds, puis Crosby, Stills, Nash and Young, devenu ensuite Crosby, Stills and Nash lorsque Neil Young a mené essentiellement une carrière solo. David Crosby était un homme de gauche. Il l’a été toute sa vie, mais il était d’une gauche libertaire et défendait essentiellement la liberté individuelle à laquelle je suis très attaché. Je l’ai vu une quinzaine de fois en concert, avec Stills et Nash, et Young, puis sans Young, et quand Crosby, Stills, Nash and Young s’est reformé le temps d’une tournée américaine, j’ai tant apprécié le concert d’Oakland, à coté de San Francisco, que je suis revenu le voir deux fois, à Los Angeles, où je suis allé deux jours plus tard, et à New York, et puisque j’habitais encore Paris à l’époque, j’ai fait pour voir le concert de New York un bref aller-retour en avion de vingt-quatre heures. J’avais rencontré David Crosby une fois, à la terrasse du restaurant Johnny Rockets de Melrose Avenue à Los Angeles. Je l’avais salué en lui disant mon estime pour son travail artistique. Il avait la gentillesse et la simplicité qu’ont les grands artistes.
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David Crosby était un grand artiste, et il a écrit des chansons immortelles. Il a fait une tournée solo au début de 2022 dans de plus petites salles et il est passé dans une salle de Las Vegas, au Red Rock Resort (Crosby, Stills, Nash and Young ont eu tant de succès que leurs spectacles avaient lieu dans des stades). Le visage de David Crosby était ridé, mais sa voix et son jeu de guitare étaient intacts.

Quelques jours avant le décès de David Crosby, c’est, le 10 janvier, Jeff Beck qui a disparu au Royaume-Uni. Il avait soixante-dix-huit ans. Il devait venir à Las Vegas au printemps et je comptais aller le voir une fois encore. C’était l’un des plus grands guitaristes vivants.

En septembre 2017, j’avais incité mon épouse à venir avec moi à Los Angeles, au Hollywood Bowl, pour voir Tom Petty, et je lui avais dit, pour la convaincre, que Tom Petty envisageait d’arrêter ses tournées. Nous avions fait le déplacement depuis Las Vegas (quatre heures de route au travers du désert Mojave), et nous étions allés au Hollywood Bowl. Le concert fut superbe (je n’en doutais pas : j’ai vu Tom Petty plusieurs fois, dans diverses villes des Etats-Unis). Tom Petty est mort une semaine plus tard, chez lui, à Malibu. Il s’était fracturé le bassin, devait aller à l’hôpital pour une intervention chirurgicale, et avait pris trop d’antalgiques. Il n’avait que soixante-six ans. C’était un grand artiste lui aussi.
A mes yeux, les grands artistes apportent de la beauté au monde, et les grands musiciens élèvent l’âme. Une génération qui a révolutionné la musique mondiale est en train de disparaitre. Elle manquera immensément. La voir disparaitre me rappelle mon âge et ma propre mortalité. Nous sommes éphémères.
Il me reste à finir d’écrire quelques livres que je pense essentiels, avant de disparaitre. Je voulais les écrire dans une grande maison entourée de palmiers et dans une ville où j’échapperais à l’hiver. J’ai ce qu’il me faut, sauf le temps. Les années passent très vite.

Carlos Santana est un autre très grand guitariste, et je l’ai très souvent vu en concert (une vingtaine de fois entre 1970 et 2022). Il vieillit lui aussi, même si cela ne se voit pas quand il joue de la guitare. Je voulais attendre le mois de juin pour retourner le voir (il vit à Las Vegas et y donne souvent des concerts). J’irai la semaine prochaine.
Il y a chez lui une dimension mystique et céleste qui, le temps d’un concert, me fait oublier la finitude des choses, et il fait partie des artistes qui, malgré pressions, menaces, et appels au boycott s’est rendu en Israël où il a commencé son concert par l’hymne israélien. Respect total. Non seulement c’est un grand artiste, mais il a une éthique.
© Guy Millière pour Dreuz.info. Toute reproduction interdite sans l’autorisation écrite de l’auteur.
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Votre verve est intacte et, comme on dit en Israël, 120 ans à vous !
Merci infiniment
Bonjour M Millière,
Même si mes goûts vont plus vers la musique dite classique et le jazz, nous avons en commun une sensibilité pour les musiciens que vous avez cités (mais il me semble bien que Crosby, Stills ans Nash ont chanté ensemble avant que N.Young les rejoigne).
Il est vrai qu’aujourd’hui la scène rock s’appauvrit et je ne me rends plus guère au concert pour écouter ce genre de musique.
Vous avez raison. Quelques mois s’écoulent avant que Neil Young rejoigne Crosby, Stills & Nash, et il y eut un premier album de Crosby, Stills & Nash sorti fin mai 1969, huit mois avant le premier album avec Neil Young. C’est cela dit avec cet album, Déjà vu, que le groupe rencontre le succès international. La scène rock s’appauvrit effectivement. Il reste Guns & Roses, Muse, Journey. Les Rolling Stones et Paul McCartney sont octogénaires.
« Déjà vu » est effectivement un immense album. La chanson de Crosby « Almost cut my hair » qui y figure est déchirante.
Les rares groupes auxquels j’ai prêté attention ces dernières décennies sont R.E.M (« Automatic for the people » ne contient que des bonnes chansons), Radiohead (surtout « OK computer ») ou The Shins (excellents en concert).
Le problème avec les groupes actuels c’est leurs limites créatives qui les rendent incapables de produire plus de 2 ou 3 albums de qualité avant de se répéter ou s’étioler.
Libertaire peut recouvrir plusieurs sens.
Dont certains problèmes qui prennent de l’ampleur dans les dérives de nos jours.
Ainsi les Byrds ont enregistré une chanson qui célèbre le triolisme.
Les mélodies sont une chose, les paroles en sont une autre.
Je ne pense pas qu’il faille juger des artistes comme des politiques. L’artiste exprime sa sensibilité avec talent ou non. Le communisme d’Aragon ne fait pas de lui un mauvais poète. L’antisémitisme de Céline n’empêche pas le « Voyage au bout de la nuit » d’être un immense chef-d’oeuvre. Brassens fut un « anti clérical fanatique » mais un inégalé auteur de chansons.
On doit la meilleure (et de loin) adaptation au cinéma de l’Evangile selon Saint Matthieu à un marxiste homosexuel: Pasolini.
Le problème est surtout quand ils n’ont aucun talent mais se permettent des prises de position définitives devant moult micros complaisamment ouvert.
Le regard marxiste de Pasolini sur un Jésus réduit à être justicier mérite discussion…
Je pense que justement dans ce film, le regard de Pasolini dépasse son idéologie. Il lui aurait été facile de faire de Jésus un agitateur politique. Ici, il nous montre un Jésus à la fois humain et divin. On est loin des représentations hollywoodiennes. Pasolini reste fidèle au texte (à une ou exceptions près, mais il s’agit ici d’une oeuvre artistique) et lui instille une émotion qui le sublime. Son travail a d’ailleurs été fort critiqué par les communistes italiens.
Le Jésus de Pasolini est sobre mais froid. Certes il est le contraire des Jésus hollywoodiens, ce qui est déjà pas mal, mais ce n’est pas vraiment une réussite.
On ne peut réduire l’oeuvre de David Crosby à la chanson Triad. Dans les années 1960, l’idée d’amour libre s’était répandue largement. Elle me parait très bénigne par comparaison avec le prosélytisme homosexuel, sado-masochiste et transsexuel qui se dissémine aujourd’hui.
C’est vrai, mais les mentalités qui dominent sont l’aboutissement de tout un maillage culturel, parfois subliminal.
Les artistes sont plus le reflet de ces mentalités que leurs initiateurs. L’influence des artistes sur l’opinion est dérisoire. Croyez-vous qu’écouter l’intégrale de Jean Ferrat nous ferait, vous et moi, voter communiste ou qu’il suffirait de diffuser les chansons de Jean-Pax Méfret pour qu’Eric Zemmour accède au 2ème tour ?
Non, on ne peut pas décréter aussi simplement que « l’influence des artistes sur l’opinion est dérisoire ». Au contraire, tout ce qui est médiatisé a un impact considérable sur l’inconscient collectif, et forge subrepticement des opinions qui prennent la place des convictions. Surtout quand la vraie culture et ses valeurs éthiques s’affaiblit vitesse grand V.
Justement, les artistes sont la culture. Ils ne la changent pas, ils l’expriment. Ce qui influence les opinions et convictions est l’ensemble d’un contexte dont la culture n’est que la partie émergée elle-même sous influence.
D’ailleurs les artistes ont bien souvent un temps de retard avec leur contexte: Chaplin aurait dû tourner « Le dictateur » en 1933, pas en 1940.
Je ne suis pas convaincu que ce soit si simple et à sens unique!
La culture woke actuelle a été préparée par un faisceau d’oeuvres d’artistes relayées par des idéologues, et l’amplification se poursuit.
Le cinéma américain jusque dans les années 60 était de haute qualité, on a vu ensuite la dérive. Idem en France. On peut observer les mêmes processus avec la littérature.
Le cinéma américain « de haute tenue » s’est ruiné lui-même en voulant concurrencer la télévision. Il est simpliste de dire que le cinéma était bon avant 1960 et mauvais ensuite.
Il y avait une foule de navets produits avant 1960 et quelques chef-d’oeuvres inoubliables.
Pareillement, les films du nouvel Hollywood ne sont pas tous mauvais, loin s’en faut.
Je ne pense pas que les artistes préparent à telle ou telle idéologie mais que leur production nous éclaire sur leur contexte
Pourquoi croyez-vous que le web fasse grand cas des « influenceurs » ?
Ceux que vous appelez des « influenceurs » ne sont que des hommes-sandwichs modernes. Leur unique rôle est de faire vendre des produits pas souvent intéressants et pas toujours honnêtes.
Ce que je veux dire, c’est que tout ce qui a une visibilité est susceptible d’influencer. Il y a phénomène de projection sur un « leader » quel qu’il soit.
Le « leader » ne s’impose pas tout seul, c’est un contexte qui fait que ce qu’il produit a un impact. Et si l’on regarde derrière nous, quel artiste a-t-il exercé une réelle influence ? Quand on observe les « personnalités préférées des Français », où trouve-t-on un leader d’opinion ? Sauf à voir chez J.J. Goldman, Florence Foresti ou Mbappé des meneurs charismatiques au discours subversif.
Les derniers artistes auxquels ont pourrait attribuer un rôle dans l’opinion française datent de 4 décennies et s’appelaient Yves Montand ou Coluche.
Mais je serais bien embarrassé pour vous expliquer en quoi et en faveur de qui cette influence a joué.
Je vais faire plus simple. En psychologie, la projection consiste chez un sujet à transporter un élément de son espace psychique interne sur un support qui lui est extérieur. Quelque soit le support. D’où l’influence.
Je suis d’accord avec vous mais l’artiste-idole demeure une image dans laquelle on se projette: on adopte le look de Johnny ou on porte le maillot de Mbappé pour s’identifier à cette image vide de toute pensée, non pour partager un discours sur la marche du monde.
Il en va différemment lorsque l’on revêt un tee-shirt de Che Guevara mais il s’agissait là d’un idéologue marxiste, pas d’un artiste.
Tout à fait d’accord avec vous !
Merci pour cet article au thème différent.
Jeff Beck, inventif jusqu’au bout, very sadly missed.
Récemment découvert l’excellent 1er album de D. Crosby, « If I Could Only Remember My Name… »
Santana : un album lumineux, inspiré et pourtant méconnu : « Oneness: Silver Dreams Golden Reality « .
A ne pas manquer : tournée européenne et américaine de The Musical Box, qui préente pour la toute dernière fois sur scène « The Lamb Lies Down on Broadway », chef d’oeuvre d’opéra-rock de Genesis.
Egalement la grande tournée européenne actuelle de Jethro Tull.
Enfin, Greta Van Fleet maintient le flambeau rock à la Led Zeppelin, en tournée US à partir de Mars.
Genesis était effectivement un groupe extrêmement créatif jusqu’aux départs de Peter Gabriel et Steve Hackett qui a amené le groupe à des choix commerciaux sans intérêt.