Publié par Jean-Patrick Grumberg le 19 mars 2023
Le chef du parti communiste du Québec explique pourquoi la guerre russe est légitime

Dans le texte qui suit, le « camarade », chef du Parti communiste du Québec, Guy Roy, s’adresse au membres du mouvement pacifiste et revient sur les raisons qui font que les communistes considèrent l’offensive russe comme légitime.

Je constate que les pro-russes partagent les mêmes opinions que les communistes : même arguments, même description du monde, même objectifs.

Par Guy Roy,
Chef du Parti communiste du Québec (PCQ)

Ce qui suit, se veut un plaidoyer pour mes amis de la gauche pacifiste. J’ai envie de répondre à la question d’un point de vue de l’indépendance des peuples et de la manière dont on peut l’envisager pour le peuple russe. Aussi du point de vue de la paix que réclament de plus en plus de gens.

On ne peut pas traiter de l’indépendance de l’Ukraine sans parler de l’indépendance de la Russie. L’évocation de la Charte des Nations Unies fait référence au respect de l’intégrité territoriale qu’aurait usurpée la Russie par son opération militaire en Ukraine. Ce n’est pas si simple.

Les accords de Minsk devaient accorder au Donbass un minimm d’autonomie régionnale. Même en refusant d’admettre l’indépendance du Donbass comme légitime, on ne peut pas escamoter sommairement la manière dont la Russie envisage son encerclement par les avancées de l’OTAN à l’Est. Il s’agit d’une menace réelle à son indépendance qu’anticipe la Russie comme pouvant mener à une éventuelle occupation par les forces militaires sous juridiction américaine. La recolonisation de la Russie par l’Amérique ne serait pas une mince atteinte à la paix et à l’indépendance de la Russie. Les transnationales étasuniennes n’ont-elles envahi le pays après le chute du communisme, heurtant ainsi le sentiment national russe revigoré depuis par un Poutine qui, pour être dictateur, n’en est pas moins imprégné de la culture de son peuple ?

L’engrenage qui a conduit à l’opération militaire est due à de multiples facteurs. Même si l’on nie toute présence de nazis auprès du gouvernement ukrainien, le seul fait, reconnu même en Occident par les plus réticents, que le Donbass ait été d’abord bombardé par le régiment néonazi Azov, devrait éveiller à la sensibilité russe face aux nazis en général. On a beau dire que cela constitue de la propagande russe visant la population interne, les mouvements d’appui russe intérieurs à la riposte armée des citoyens du Donbass à leur propre bombardement, devrait amener à la plus grande prudence quant à l’évaluation du soutien populaire à l’opération qui a conduit à une volonté de dénazifier l’Ukraine.

Le patriotisme russe n’est pas étranger à la Grande Guerre Patriotique qui a vu, sur le front Est, s’affronter l’allié de l’époque, l’URSS, et l’Allemagne nazie. Ce souvenir est profondément encré dans la mémoire et la culture russe contemporaine. S’il s’agit de propagande, elle est fondée sur un fait historique indéniable qui a rendu le Front Est de cet époque de la Deuxième Guerre Mondial le plus acharné et le plus virulent dans l’opération militaire ultime d’envergure que nous menions tous contre le nazisme avec les conséquences qu’une paix relative est advenue après la guerre.

Trudeau a beau reproché à Poutine sa référence à cette guerre cruelle de libération nationale, il ne tient pas compte du fait que le peuple russe est profondément attaché au souvenir de l’agression allemande et que la lutte antifaciste fait partie d’une tradition populaire qui, au nom de la liberté reconquise, a appuyé les grands mouvements de déclonisation d’après guerre pour une plus grande indépendance des peuples.

Dans une perspective décoloniale, il est plausible que le peuple russe soit déjà gagné à ce qu’il a expérimenté dans la monde, à savoir : les guerres de libération nationale armées qu’ont connues les années soixante et soixante-dix. Il est de plus plausible que l’européennisation de l’Ukraine ne soit vu que comme une recolonisation de ce pays par les forces occidentales dont la géopolitique peut être comprise comme une expansion continuelle vers des territoires qui ne lui sont pas acquis, la Russie actuelle étant perçue comme la cible ultime de ces conquêtes de marchés.

Le deuxième objectif avoué est de démilitariser ce pays devant sa propension à se conformer aux instructions de Washington de rallier l’OTAN. On ne peut innocemment ignorer que cet objectif avait pour but de mettre la Russie sur la défensive encerclée, depuis la défaite du socialisme dans ce pays, par la marée montante des pays ayant rallié l’Europe et l’OTAN, force militaire incontournable dans la menace agressive qu’elle a finalement constitué pour la Russie et sa gouverne indépendante. La montée des droites extrêmes en Pologne ou en Hongrie n’est pas pour simplifier la géopolitique de la région qui a vu interdits, par des lois menaçant leurs droits démocratiques, les partis communistes et leurs symboles.

Bien sûr on ne peut pas s’attendre à ce qu’un Trudeau libéral se préoccupe du sort des communistes, mais on ne peut passer sous silence que la répression nazie en Allemagne a d’abord frappé les forces de gauche, dont les communistes, bien avant les Juifs qui n’ont connu les camps qu’après que toutes les forces d’opposition aient été emprisonnées.  » Il n’y avait plus personne pour protester « , comme l’avouait ce pasteur protestant devant la montée du nazisme.

Ce pourrait-il que le peuple russe, qui est un agent actif et conscient dans la politique de son pays, soit intéressé par la prévention du colonialisme occidental avoué dans les plans d’expansion de l’OTAN ? Ce peut-il que dans les chars que l’Allemagne envoie en Ukraine, il y ait chez les Russes la prémonition d’un déferlement des chars blindés sur leur pays ? En tout cas, cela a été évoqué avec justesse par un général de l’armée lui-même.

Le souvenir et le traumatisme irrévocable de l’invasion allemande est souvent incompréhensible par nos populations qui n’ont pas connu sur leur territoire d’occupation notoire. Sauf peut-être pour le Québec, qui a vu déferler en 1970 l’armée canadienne. Mais ce souvenir, chez les indépendantistes et les pacifistes, n’a convaincu personne de dénoncer les bombardements par les troupes ukrainiennes des régions du Donbass qui se sont retrouvées seules avec le solidarité du peuple russe, sans l’appui de la communauté internationale qui a fermé les yeux, comme dans l’Espagne de Franco à l’époque, sur les exactions de l’extrême droite armée contre les russophones. Ils ont fini par déclarer, sous la pression militaire de l’armée ukrainienne, leur indépendance dans un référendum gagnant celui-là.

C’est contre sa volonté, sous la pression des communistes à la Douma et d’une partie importante de la population russe elle-même, horrifiée par ce que subissaient les habitants du Donbass, que Poutine a finalement reconnu les républiques indépendantes de Donestk et de Lougansk. Et signer des accords de support mutuel. Cela l’a entrainé dans l’éventualité de proposer la dénazifisation et la démiliratisation d’une Ukraine, sous la tutelle américaine, menaçante pour la souveraineté de la Russie.

À choisir, et sous l’impulsion de la volonté populaire d’un peuple à qui l’on doit beaucoup pour la victoire militaire sur le nazisme, nous ne pouvons qu’envisager sa victoire contre la menace à sa souveraineté que constitue une Ukraine colonisée par l’Amérique dans son objectif d’encercler la Russie, pays indépendant qui, pour le bien du monde, doit le rester. La guerre préventive déclarée par Poutine, le dictateur, avec tout le soutien d’un peuple aux traditions antifascistes, est juste et progressiste pour un monde qui aspire à un confinement préventif de l’impérialisme comme le prouve la conjoncture mondiale et le peu d’entrain que certains pays mettent à soutenir une indépendance de l’Ukraine en l’armant à la suite d’une OTAN agressive qui veut de plus ne plus ouvertement en découdre avec la Russie sous l’impulsion des États-Unis.

Qu’on le regarde du point de vue de l’indépendance de l’Ukraine ou de celle de la Russie, la balance pèse lourd, dans son aspect anti-impérialiste et antiguerre, vers celle de la Russie, réclamée à son gouvernement, par une population non subjuguée par l’ultranationalisme de droite comme celle de l’Ukraine. Les indépendantistes québécois qui penchent pour l’Ukraine oublient leur propre histoire de la prévention d’une intervention militaire qu’aurait constitué l’indépendance du Québec au moment où l’histoire de celui-ci basculait dans l’attente d’une issue à son oppression qui ne venait pas de quelque horizon que l’on regarde. Du Canada nous n’avons reçu qu’un degré plus élevé dans la négation de notre droit à l’autodéterminatiion par l’occupation armée que préviennent, eux, les Russes pour leur pays en tentant d’endiguer, avant qu’il ne soit trop tard, la militarisation excessive de leur voisin ukrainien, allié d’une OTAN dont les projets apparaissent évidents pour les Russes eux-mêmes.

Pour la gauche authentique et pour les pacifistes québécois les plus politisés, il serait temps d’évaluer à quelle indépendance ils veulent souscrire : celle du pays qui a vaincu le nazisme avec comme expérience ultérieure le soutien conscient aux luttes anticoloniales armées pour une liberté supérieure des peuples ou l’indépendance d’un pays déjà gagné au projet d’agrandissement d’une OTAN agressive qui a entrepris et prépare toujours constamment les nouvelles guerres d’expansion des États-Unis comme celle de l’Irak il y a vingt ans.

Envisager la défaite de l’impérialisme étasunien, aux 800 bases militaires dans le monde, n’est pas une fatalité. Ils peuvent encore l’emporter. Ils sont déjà très forts. Mais avec quelle perspective ? La préparation de quelles autres guerres ? Leur défaite serait à la hauteur de l’espoir qu’ils ont dans un maintien du colonialisme et de leur hégémonie. La défaite des États-Unis sous la pression de la Russie est aussi une éventualité que nous devons envisager.

Alors que l’impérialisme le plus agressif devrait reculer, les perspectives de paix seraient d’autant plus grandes qu’il serait confiné aux territoires qu’il contrôle tout en étant assommé par une défaite qui lui vaudrait d’être isolé et, par le fait même, beaucoup moins agressif. L’extension du conflit au monde n’est probable que par l’introduction militaire des États-Unis. Une victoire de la Russie empêcherait cela puisqu’il n’y a pas d’évidence qu’elle veuille aller plus loin que son propre territoire. Ce ne sera peut-être pas la fin de toutes les guerres, mais leur source en serait tarie par une défaite de ce qui a provoqué depuis 50 ans toutes les guerres d’envergure que l’on ait connues.

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Conclusion

1

Si vous pensez que :

  • la question de l’indépendance des peuples doit être respectée pour le peuple russe, tout en reconnaissant l’importance du respect de l’intégrité territoriale évoquée dans la Charte des Nations Unies.
  • que les accords de Minsk devaient accorder au Donbass un minimum d’autonomie régionale, et qu’on ne peut pas escamoter sommairement la manière dont la Russie envisage son encerclement par les avancées de l’OTAN à l’Est.
  • que des nazis sont présents dans le gouvernement ukrainien,
  • que le Donbass a été d’abord bombardé par le régiment néonazi Azov,
  • qu’il faut accorder la plus grande prudence quant à l’évaluation du soutien populaire à l’opération qui a conduit à une volonté de dénazifier l’Ukraine.
  • que le patriotisme russe envers la Grande Guerre Patriotique, qui a vu l’URSS s’affronter à l’Allemagne nazie, est profondément encré dans la mémoire et la culture russe contemporaine.
  • que le peuple russe est déjà gagné à la perspective décoloniale, notamment en raison des guerres de libération nationale armées qu’il a connues dans les années soixante et soixante-dix.
  • Enfin, qu’il est important de démilitariser l’Ukraine pour éviter une mise en danger de la Russie et une montée de la droite extrême dans certains pays de l’Europe de l’Est.

Alors je vous félicite : vous êtes, en politique étrangère, alignés sur les communistes.

2

Si de plus, vous considérez que :

  • la question de l’indépendance de l’Ukraine ne peut être traitée sans évoquer l’indépendance de la Russie.
  • que la manière dont la Russie perçoit l’encerclement par l’OTAN à l’Est est une menace réelle à son indépendance et qu’elle pourrait mener à une occupation par les forces militaires sous juridiction américaine.
  • que le patriotisme russe et sa référence à la Grande Guerre Patriotique, qui a vu l’URSS combattre l’Allemagne nazie, explique que ce souvenir est profondément ancré dans la mémoire et la culture russe contemporaine.
  • que l’européanisation de l’Ukraine peut être vue comme une recolonisation de ce pays par les forces occidentales, et que cela peut être compris comme une expansion continuelle vers des territoires qui ne leur sont pas acquis,
  • que la Russie actuelle est perçue comme la cible ultime de ces conquêtes de marchés.
  • Enfin, que l’objectif est de démilitariser l’Ukraine devant sa propension à se conformer aux instructions de Washington pour rejoindre l’OTAN.

Alors il est temps que vous preniez votre carte du parti. Vous êtes totalement en phase.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Jean-Patrick Grumberg pour Dreuz.info.

Source : https://www.pcq.qc.ca/Dossiers/Autres/Archives/page_article.php?article_id=8192

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