Publié par Mauricette le 14 mars 2023

Source : E.S.M.

« J’étais le grand rabbin de Moscou. La Russie m’a contraint à fuir ». C’est ainsi que la revue américaine « Foreign Policy » a intitulé fin février l’impressionnant récit qu’a fait Pinchas Goldschmidt des rapports difficiles entres les Juifs russes et le régime de Vladimir Poutine, des rapports qui se sont davantage compliqués après son agression contre l’Ukraine.

Dans cette guerre, le facteur religieux a son importance. Avec des racines lointaines qui, pour les Juifs de Russie, remontent aux soixante-dix années de dictature communiste, dont ils sont sortis pratiquement détruits. Ce n’est qu’après le tournant de 1989, quand avec Mikhaïl Gorbatchev « la perestroïka et la glasnost battaient leur plein », que le rabbin Goldschmidt est arrivé à Moscou, avec l’intention de « reconstruire la communauté juive ».

Quatre années plus tard, en 1993, Goldschmidt devient grand rabbin de Moscou. Mais à l’aube du deuxième millénaire, avec l’arrivée de Poutine à la présidence, les signaux repassent à nouveau au rouge. À l’hiver 2003, le rabbin est convoqué par des fonctionnaires des services de sécurité fédéraux, le FSB, l’héritier du célèbre KGB, qui lui demandent de se mettre à leur service en tant qu’informateur. Goldschmidt refusa. Par la suite, les fonctionnaires reviennent plusieurs fois à la charge, toujours sans succès, jusqu’à ce qu’en 2005 – écrit-il – « j’ai été expulsé de Russie, peut-être justement à cause de mon refus de collaborer avec les agences d’espionnage ».

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Et il ajoute : « Je n’ai pu revenir que grâce à l’intervention du premier ministre italien de l’époque, Silvio Berlusconi », évidemment grâce à l’amitié que ce dernier avait créée avec Poutine.

Mais les agents du FSB ne s’avouèrent pas vaincus : « il tenaient sous contrôle, visitaient et intimidaient » un nombre croissant de Juifs russes. Jusqu’à la conclusion d’un accord avec la Fédération des communautés juives de Russie, la FEOR, qui se plia à deux conditions bien précises du Kremlin.

La première était de blanchir l’image de Poutine de tout soupçon d’antisémitisme, pendant qu’il se battait contre les oligarques d’origine juive Mikhail Fridman, Vladimir Gusinsky, Mikhail Khodorkovsky et Boris Berezovsky.

La seconde condition du Kremlin était d’utiliser la Fédération des Juifs russes comme porte-parole en direction les Juifs d’Occident, « pour faire passer le message que, quoiqu’on puisse penser de Poutine, toute autre alternative serait pire et aboutirait à la persécution des Juifs ». Et la Fédération ne manqua pas de remplir sa part du contrat par la suite : quand Poutine annonça sa volonté de revenir à la présidence en 2012, les rabbins de la FEO « s’empressèrent de faire en sorte que les Juifs de Moscou renoncent à participer aux manifestations ».

Et quand la Russie s’appropria la Crimée en 2014, « les leaders de la FEOR s’activèrent au maximum pour donner la ligne à suivre, en dépit des protestations des Juifs russes : Juifs, ne vous en mêlez pas, ce n’est pas notre guerre ».

Quant aux années de guerre dans le Donbass qui suivirent, Goldschmidt écrit : « Dans le contexte du discours de propagande russe pour soutenir la lutte contre les néo-nazis en Ukraine, le Musée de la Tolérance, construit par la FEOR et centré sur l’histoire de la seconde guerre mondiale, a été utilisé à de nombreuses reprises pour accréditer la thèse selon laquelle la guerre contre l’Ukraine était une guerre contre le retour du nazisme. Telle était la ligne adoptée par le rabbin Alexander Boroda, président de la FEOR, pour soutenir la guerre. Les organisations-sœur de la FEOR situées hors de Russie, comma Chabad, n’ont pas dit un mot. »

Entretemps, le Service de sécurité fédéral, c’est-à-dire les services secrets, « ont poursuivi leur guerre d’usure contre les rabbins, principalement ceux d’origine étrangère, en expulsant ces dix dernières années plus de onze rabbins appartenant aux différentes communautés, c’est-à-dire ceux qui ne suivaient pas la ligne du parti fixée par le FSB sur le modèle de l’Église orthodoxe russe ».

Et c’est là, dans son récit dans « Foreign Policy », que Goldscmidt ouvre le chapitre sur le « rôle essentiel » joué par l’Église orthodoxe russe « dans la guerre du Kremlin contre l’Ukraine », un rôle « dans lequel la religion a été utilisée – et pervertie – comme arme pour justifier des crimes contre l’humanité ».

En premier lieu, Goldschmidt fait remarque que c’est avec la montée au pouvoir de Poutine que l’orthodoxie russe « a connu une véritable renaissance », reconstruisant ces vingt dernières années « encore plus de nombreuses églises et monastères, environ 10.000, qu’avant la révolution de 1917 »

En second lieu, Goldschmidt présente « les deux options » qui s’offraient à l’Église orthodoxe au sortir de l’Union soviétique : « ou bien devenir un véhicule de démocratisation comme l’étaient les Églises catholiques et protestantes d’Europe occidentale, en soutenant leurs propres fidèles dans une lutte pour une vie meilleure ; ou bien se ranger du côté des tendances autoritaires du gouvernement et en récolter les bénéfices qui en découlaient, comme la construction de somptueuses églises dans tout le pays ».

Et donc, poursuit le rabbin : « le patriarche Cyrille, le chef de l’Église dans la Russie de Poutine, a choisi la deuxième option. Dans un pays dépourvu d’idéologie, l’Église s’est unie à l’État pour fournir une nouvelle idéologie à la propagande anti-occidentale du régime et, dans une certaine mesure, elle a remplacé le parti communiste dans sa création de culture et de valeurs. Le rôle de l’Église a visé à fournir un fondement idéologique à un régime étranger au respect des droits de l’homme, à la démocratie et aux élections libres, le poussant à attaquer la faveur de l’Occident pour les droits des gays et le laxisme sexuel ».

Ce rôle de l’Église orthodoxe, poursuit Goldschmidt, « est devenu plus clair quand Poutine a qualifié la dissolution de l’Union soviétique comme la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle. Par une série de guerres et de conquêtes, Poutine s’est engagé à recréer l’Union soviétique, même sans le marxisme ».

Il est un fait que Cyrille « est devenu le partisan le plus acharné de l’invasion de l’Ukraine, conférant à l’invasion le statut d’une guerre sainte et promettant l’absolution et une place au paradis pour tous les soldats tombés ». Avec pour conséquence que « les voix ne soutenant pas l’invasion au sein de l’Église ont immédiatement été réduites au silence : le métropolite Hilarion, chef des relations étrangères et en pratique numéro deux du patriarche de Moscou, a été exilé dans la minuscule communauté orthodoxe de Budapest, en Hongrie, pour avoir refusé de soutenir la guerre ».

Et lui, Goldschmidt, grand rabbin de Moscou depuis trente ans ? « Deux semaines après l’invasion de l’Ukraine, j’ai moi aussi décidé de quitter la Russie pour l’Europe et ensuite Israël. Je m’étais rendu compte que j’aurais été contraint à soutenir la guerre et qu’exprimer une opinion dissonante aurait été dangereux ».

La raison de l’absence actuelle, en Russie, de voix dissonantes de la part des chrétiens ou des autres groupes religieux s’explique selon Goldschmidt par l’absence, après soixante-dix années de dictature communiste, d’une véritable catharsis nationale, comparable à la réconciliation en Afrique du Sud après l’apartheid ou à la dénazification de l’Allemagne de l’après-guerre.

En Russie, peu de choses ont changé. Comme à l’époque soviétique, personne n’obtenait une charge religieuse sans passer par les services du KGB, aujourd’hui, sous la domination de Poutine, « les vieilles tactiques sont revenues en force et le FSB a recommencé à recruter des représentants du clergé de toutes les religions en recourant aux menaces, au chantage et à la manipulation pour contrôler tous les groupes religieux. Il ne s’est pas limité à s’assurer de la soumission de l’Église orthodoxe russe et à infiltrer la communauté juive, le FSB a également fait en sorte de place ses agents à l’intérieur du leadership religieux musulman ».

Cet asservissement est tel, poursuit Golschmidt, que « si un jour un nouveau régime démocratique montait au pouvoir en Russie », le contrecoup inévitable serait « l’exode de millions de personnes de la base populaire de l’Église orthodoxe russe ».

Et il conclut : « Tous les leaders religieux devraient se rappeler d’un principe fondamental : leur ressource principale ce sont les personnes, pas les cathédrales. Et il y a un prix à payer pour une fusion totale avec l’État. Une fois que l’État et l’Église ne font plus qu’un, l’un d’eux finit toujours pas devenir dangereusement et terriblement superflu ».

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