Le groupe en ligne qui a reçu des centaines de pages de documents classifiés comprenait des étrangers, selon des membres du Post.

A quelques heures d’intervalle, un nouveau lot de documents classifiés vient de faire l’objet d’une fuite en ligne, rapporte le New York Times, et le Washington Post a découvert que l’homme à l’origine de la fuite massive de secrets du gouvernement américain qui a révélé l’espionnage d’alliés, et mis le feu aux poudres diplomatiques à la Maison-Blanche et ailleurs, est un jeune amateur d’armes à feu qui a partagé des documents hautement confidentiels sur un groupe de rencontres.

Le nouveau lot contient 27 documents classifiés qui ne figuraient pas dans le précédent lot de documents divulgués par le Pentagone. Ils indiquent que les divisions au sein du gouvernement russe sont plus profondes qu’on ne le pensait. Les documents font état, entre autres, d’un débat entre les hauts fonctionnaires russes sur le nombre de morts et de blessés dans la guerre en Ukraine, et que les agences de renseignement locales accusent l’armée de cacher le nombre de victimes que la Russie a subies.

Les fuites montrent également que les archives des agences de renseignement américaines pourraient contenir beaucoup plus d’informations que ce que l’on pensait jusqu’à présent.

Pour revenir à l’auteur des fuites…

Un groupe d’environ deux douzaines de personnes – pour la plupart des hommes et des garçons – ont créé en 2020 un club sur Discord, une plateforme en ligne très prisée des joueurs, « Thug Shaker Central », sur invitation uniquement. Mais ils n’ont guère prêté attention l’année dernière lorsque celui que certains appellent « OG » a posté un message truffé d’acronymes et de jargon étranges. Les mots n’étaient pas familiers et peu de gens ont lu la longue note, a expliqué l’un des membres.

OG, le chef le plus âgé de leur petite tribu affirmait connaître des secrets que le gouvernement cachait aux gens ordinaires.

Un jeune membre a lu attentivement le message d’OG. Il s’agissait de ce qui ressemblait à des transcriptions quasi verbatim de documents classifiés des services de renseignement qu’OG avait rapporté de son travail sur une « base militaire », non-identifiée.

OG a affirmé qu’il passait au moins une partie de sa journée à l’intérieur d’une installation sécurisée qui interdisait les téléphones portables et autres appareils électroniques, qui pouvaient être utilisés pour documenter les informations secrètes hébergées sur les réseaux informatiques du gouvernement, ou qui sortaient des imprimantes. Il a annoté certains des documents dactylographiés à la main, traduisant le langage obscur des services secrets pour les non-initiés, expliquant par exemple que »NOFORN » signifiait que les informations contenues dans le document étaient si sensibles qu’elles ne devaient pas être partagées avec des ressortissants étrangers.

OG a expliqué au groupe qu’il avait passé des heures à rédiger des documents classifiés pour les partager avec ses compagnons sur Discord. Il voulait « nous tenir au courant », a déclaré le membre, et semblait penser que ses connaissances d’initié offriraient aux autres une protection contre « le monde troublé ».

« C’est une personne intelligente. Il savait ce qu’il faisait lorsqu’il a publié ces documents. Il ne s’agissait pas de fuites accidentelles ».

Les documents transcrits qu’OG a mis en ligne traitaient d’une série de sujets sensibles que seules les personnes ayant fait l’objet d’une vérification de leurs antécédents pendant des mois étaient autorisées à consulter.

• Il y avait des rapports top secret sur les allées et venues de dirigeants politiques de haut rang,
• des mises à jour tactiques sur les forces militaires.
• Des analyses géopolitiques et des informations sur les efforts déployés par les gouvernements étrangers pour interférer avec les élections.

Dans ses premiers messages, OG avait donné à ses membres un petit aperçu du torrent de secrets qui allait révéler.

Lorsqu’il s’est avéré trop fastidieux de rendre des centaines de dossiers classifiés à la main, il a commencé à publier sur des centaines de photos des documents eux-mêmes, une étonnante cache de secrets qui s’est progressivement répandue dans le public au cours de la semaine écoulée, perturbant la politique étrangère des États-Unis et exaspérant les alliés de l’Amérique. Il n’est pas expliqué comment il a pu photographier les documents si son téléphone ne pouvait pas entrer dans la salle.

Des témoignages récoltés par le Washington Post

Le récit de la manière dont les documents de renseignement destinés à un cercle limité de chefs militaires et de décideurs gouvernementaux sont entrés dans la communauté fermée d’OG, puis en sont sortis, se fonde en partie sur plusieurs longs entretiens avec le membre du groupe Discord, qui a parlé au Washington Post sous couvert d’anonymat.

Il a moins de 18 ans et était un jeune adolescent lorsqu’il a rencontré OG. Le Washington Post a obtenu le consentement de la mère du membre pour lui parler et enregistrer ses propos sur vidéo. Il a demandé à ce que sa voix ne soit pas masquée. Voici une partie de l’enregistrement :

Son récit a été corroboré par un deuxième membre qui a lu un grand nombre des documents classifiés partagés par OG, et qui a également parlé sous le couvert de l’anonymat.

Les deux membres ont déclaré connaître le vrai nom d’OG ainsi que l’État dans lequel il vit et travaille, mais ils ont refusé de partager ces informations car le FBI recherche la source des fuites.

L’enquête n’en est qu’à ses débuts et le Pentagone a mis en place son propre examen interne sous la direction d’un haut fonctionnaire.

« Un effort interagences a été mis en place pour évaluer l’impact que ces documents photographiés pourraient avoir sur la sécurité nationale des États-Unis et sur nos alliés et partenaires », a déclaré Sabrina Singh, secrétaire de presse adjointe du Pentagone, dans un communiqué.

Discord a déclaré dans un communiqué qu’il coopérait avec les forces de l’ordre et n’a pas souhaité faire d’autres commentaires.

Le Washington Post a également examiné environ 300 photos de documents classifiés, dont la plupart n’ont pas été rendus publics, un enregistrement audio d’un homme que les deux membres du groupe ont identifié comme étant OG, et qui s’adresse à son groupe, ainsi que des enregistrements de conversations et des photographies montrant qu’OG communique avec eux sur Discord.

Le jeune membre a déclaré être impressionné par la capacité d’OG à annoncer des événements majeurs avant qu’ils ne fassent la une des journaux, des choses que « seule une personne ayant ce type d’habilitation » pouvait savoir. Selon ses propres dires, il était fasciné par OG, qui, d’après lui, est âgé d’une vingtaine d’années.

« Il est en forme. Il est fort. Il est armé. Il est entraîné. Il a tout ce qu’on peut attendre d’un film fou », a déclaré le membre.

Dans une vidéo visionnée par le Post, OG se tient dans un stand de tir, portant des lunettes de sécurité et des cache-oreilles et tenant un gros fusil. Il crie une série d’insultes raciales et antisémites devant la caméra, puis tire plusieurs balles sur une cible.

« J’ai été l’une des rares personnes du serveur à pouvoir comprendre que ces [documents] étaient légitimes », a déclaré le membre, se distinguant ainsi des autres personnes qui ont pour la plupart ignoré les messages d’OG.

« J’avais l’impression d’être au sommet du mont Everest », a-t-il déclaré. « J’avais l’impression d’être au-dessus de tout le monde dans une certaine mesure et de savoir des choses que les autres ignoraient.

Une quantité impressionnante de documents, dont plusieurs détails pourraient trahir l’auteur des fuites

OG a partagé plusieurs documents par semaine, à partir de la fin de l’année dernière.

L’étendue des rapports militaires et des rapports des services de renseignement qu’il a piraté est considérable.

Pendant des mois, OG a régulièrement téléchargé, page après page, des évaluations américaines classifiées, offrant une fenêtre sur la profondeur avec laquelle les services de renseignement américain avaient pénétré l’armée russe, montrant que l’Égypte avait prévu de vendre à la Russie des dizaines de milliers de roquettes et suggérant que des mercenaires russes avaient approché la Turquie, un membre de l’OTAN, pour acheter des armes afin de lutter contre l’Ukraine.

Au moins un des documents a été imprimé à partir d’Intellipedia, un système de partage de données que les agences de renseignement utilisent pour collaborer et publier des rapports et des articles.

Parfois, les photographies qu’OG a prises des documents ont été prises au-dessus d’un lit. Des objets tels que de la colle Gorilla, un manuel d’utilisation d’un oscilloscope et un coupe-ongles apparaissent dans les marges. D’autres images inédites examinées par le Post montrent des documents imprimés posés sur un clavier rougeoyant, autant d’indices qui pourraient aider les enquêteurs dans leur quête de la source.

Un patriote motivé par son ressentiment envers la communauté du renseignement

Le membre a déclaré qu’OG n’était pas hostile au gouvernement américain et a insisté sur le fait qu’il ne travaillait pas pour le compte d’un pays étranger.

« Il n’est pas un agent russe. Ce n’est pas un agent ukrainien », a déclaré le membre. « La salle du serveur où il a posté les documents s’appelait ‘bear-vs-pig’ (ours-porc), un clin d’œil à la Russie et à l’Ukraine ».

Mais OG avait une vision sombre du gouvernement.

Le jeune a déclaré qu’il parlait des États-Unis, et en particulier des forces de l’ordre et de la communauté du renseignement, comme d’une force sinistre qui cherchait à supprimer ses citoyens et à les maintenir dans l’ignorance. Il s’insurgeait contre les « excès du gouvernement ».

OG a déclaré à son groupe que le gouvernement cachait d’horribles vérités au public. Il a affirmé, selon les membres, que le gouvernement savait à l’avance qu’un suprémaciste blanc avait l’intention de faire une fusillade dans un supermarché de Buffalo en mai 2022. L’attaque a fait 10 morts, tous noirs, et trois blessés.

OG a déclaré que le FBI avait laissé les meurtres se produire afin de pouvoir plaider en faveur d’un financement accru, une idée sans fondement que le membre de Discord a déclaré croire, et qu’il considère comme un exemple de la perspicacité d’OG, quant à la profondeur de la corruption gouvernementale.

Les fuites

Tout l’hiver, OG a donc téléchargé des documents sur le serveur. 

• Le 28 février, un autre utilisateur adolescent du serveur Thug Shaker Central a commencé à poster plusieurs dizaines de photographies des documents classifiés sur un autre serveur Discord affilié au YouTuber « wow_mao ».
  
  Certains de ces documents présentaient des évaluations détaillées des capacités de défense de l’Ukraine et montraient jusqu’où les services de renseignement américains pouvaient voir dans le commandement militaire russe.
• Le 4 mars, 10 documents sont apparus à l’adresse sur « Minecraft Earth Map », un serveur Discord consacré au célèbre jeu vidéo.
  
  Un utilisateur du compte qui a publié la plus petite série d’images a déclaré au Post qu’il les avait obtenues sur wow_mao.
• Des documents secrets et ultrasecrets étaient désormais accessibles à des milliers d’utilisateurs de Discord, mais la fuite n’a été portée à l’attention des autorités américaines qu’un mois plus tard.
• OG, lui a cessé de partager des images à la mi-mars.
• Le 5 avril, des documents classifiés évaluant la guerre en Ukraine ont été publiés sur des canaux Telegram russes et sur la plateforme de messagerie 4chan, et ont commencé à apparaître sur Twitter.
• Une image montrant une mise à jour du statut de l’Ukraine le 1er mars grossièrement trafiquée pour gonfler le nombre de victimes ukrainiennes et minimiser le nombre de victimes du côté russe est apparue.
• Le lendemain, peu avant que le New York Times ne parle pour la première fois de la fuite, OG a posté un message sur le serveur. Il était « affolé, ce qui est inhabituel pour lui », a déclaré le membre. Venait-il de comprendre qu’il perdrait forcément le contrôle des documents qu’il a publiés ?

« Il a dit qu’il s’était passé quelque chose et il a prié Dieu pour que cet événement ne se produise pas. … Mais maintenant, c’est entre les mains de Dieu. »

• Et ce jeudi matin, le New York Times annonce que 27 nouvelles pages de documents secrets datant du 28 février 2023 ont été publiées, indiquant que l’hémorragie n’est probablement pas terminée.

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