Publié par Abbé Alain René Arbez le 26 mai 2023
Non, monsieur Arditi, Jésus de Nazareth n’est pas un bâtard

Le Genevois Metin Arditi jouit d’une grande notoriété, étant très engagé dans la vie culturelle locale. C’est un écrivain talentueux, et un mécène à l’initiative de fondations pour le dialogue interculturel. L’UNESCO l’a nommé « ambassadeur de bonne volonté » en 2012. Son livre « l’homme qui peignait les âmes » a reçu le prix de l’Université catholique de l’ouest.

Comment comprendre alors, que sa dernière publication romanesque s’intitule « le bâtard de Nazareth », une fiction provocatrice présentant une vie de Jésus fantasmée, éloignée des sources aujourd’hui unanimement reconnues par les exégètes catholiques et protestants. Nul ne contestera la liberté de tout écrivain, et personne aujourd’hui ne refusera le fait que la foi chrétienne puisse être questionnée. Mais en ce qui concerne la personne de Jésus, un peu de considération s’impose, car ce livre « le bâtard de Nazareth », même sous la forme d’un roman, est une gifle aux croyants.

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Metin Arditi est issu d’une famille séfarade de Turquie, né à Ankara en 1945, il est arrivé en Suisse, devenue son pays d’adoption, puisqu’il en a demandé la nationalité en 1968. Une question peut dès lors se poser, comment un détenteur du passeport à croix blanche peut-il donner un tel coup de griffe à cette même croix du Christ qui a été le fil conducteur et unificateur de l’histoire helvétique, à travers des patriotes croyants et des hommes de conciliation comme Nicolas de Flue ?

Ce pamphlet antichrétien présente Jésus comme un bâtard désorienté, amant de Marie de Magdala, et sa mère Marie n’est qu’une fornicatrice. On découvre aussi un Judas Iscariote mentor de Jésus, auquel il impose ses vues de rebelle désenchanté. Sans aucune base historique et pour le réduire à un bâtard de la société juive de l’époque, (un mamzer) l’écrivain dit se référer au travail de l’exégète protestant Daniel Marguerat, lequel soulignait simplement ce que dit l’évangile de Luc, à savoir que le statut de la Vierge Marie, non mariée et enceinte de Jésus, pouvait poser problème dans la société. Or, confiant en l’action de l’Esprit Saint et en prenant Marie pour épouse, Joseph donne une validité légale à son fils adoptif. Mais extrapoler en affirmant que Jésus est un mamzer cela implique que Marie a conçu dans le péché, et qui plus est, avec un païen.

Mais c’est là qu’il faut prendre la mesure du message global délivré par ce roman. Metin Arditi recycle dans son livre les polémiques anciennes contre le christianisme. En le réduisant au statut de mamzer, il contribue à priver Jésus de sa judéité, à la manière de Marcion, excommunié au 2ème siècle. Sans oublier Celse, auteur romain antichrétien de la même époque qui ridiculise la foi des chrétiens en disqualifiant la dimension surnaturelle du Christ et en concluant que sa résurrection a été inventée. Ce philosophe sera contré vigoureusement par Origène.

Mais transparaissent également dans ce roman les Toledot Yeshu, qui depuis le 4ème siècle. constituent un pamphlet violent contre Jésus et sa mère. Il y est aussi question d’un mamzer, issu d’une fornication entre Marie et Panthera, un soldat romain. Dans plusieurs recensions polémiques au cours des siècles, on voit, comme dans le roman, Judas Iscariote prendre l’ascendant sur Jésus pour le discréditer. En copier-coller, Metin Arditi fait de son Judas Iscariote le vrai fondateur du christianisme.

La conclusion qui en découle est que ce Jésus impur est un imposteur, sa résurrection n’est qu’une fable. Il est ainsi exclu de la tradition juive pluriséculaire. Toutefois les érudits tant juifs que chrétiens refusent de donner une quelconque valeur à ces écrits injurieux des Toledot Yeshu, qui reflètent les réactions juives de certains à l’antijudaïsme de la chrétienté médiévale. Le professeur Joseph Klausner rappelle très clairement que les toledot yeshu ne font pas partie de la littérature juive normative.

Comment comprendre que Metin Arditi redonne vie, sous forme de roman, à ces diffamations d’un autre temps, qui, par ricochet ont suscité des réactions antisémites désastreuses comme celles de Pranaïtis et d’autres rédacteurs haineux ?

« Le bâtard de Nazareth » nous montre un Jésus si charnel et si peu inspiré d’en haut qu’inévitablement il tombe dans les bras de Marie Madeleine. Son procès conduira ses disciples à inventer la supercherie de sa résurrection. On retrouve ici les mêmes thèmes antichrétiens que dans le Da Vinci Code.

Certains commentateurs politiquement corrects admirent le fait de montrer un Jésus romanesque ami des exclus, un Jésus qui se plaît à casser les codes et à dénigrer la loi en cours en Israël. N’est-ce pas enfoncer une porte ouverte, puisque les évangiles nous répètent à l’évidence que Jésus a précisé qu’il n’est pas venu abolir les commandements, et qu’il est venu soutenir, non pas les bien-portants, mais les plus fragiles. C’est d’ailleurs ce que souligne la halakha, avec ses recommandations à l’égard de la veuve, de l’orphelin et de l’étranger.

En fin de compte, ce roman est un vrai manifeste déconstructiviste, à base de vieilles polémiques relookées dans l’air du temps. La promotion de l’inclusivisme qui se dégage du livre est en consonance avec les multiples actions militantes qui montent en puissance. Dans une interview, l’auteur dénonce « l’injustice que subit la Palestine, car la mission du peuple juif n’est pas de dominer d’autres peuples »…On est donc bien, sur tous ces points controversés, dans la ligne idéologique de la doxa des milieux woke et altermondialistes. En ce qui concerne la décomposition de la figure de Jésus, un midrash invite pourtant au respect de l’autre tout juif soucieux de vérité : « Si tu parles contre ton frère Esaü, tu finiras par parler contre un membre de ton peuple ! » (Deutéronome rabba 6,9)

Ce roman de Metin Arditi va exactement dans le sens contraire de ce vaste mouvement qui a été mis en œuvre dès l’après 2nde guerre mondiale : le rapprochement convivial entre chrétiens et juifs. La rencontre de Seelisberg en 1945 avait réuni en Suisse juifs, catholiques et protestants dans le but de mettre un terme aux clichés négatifs véhiculés dans les communautés.

Dès lors, des chrétiens et des juifs se sont donné les moyens de travailler ensemble à partir du patrimoine spirituel commun qui les unit au nom de l’alliance, selon leurs traditions spécifiques. Cette dynamique de rapprochement s’avère indispensable pour faire face aux temps que nous vivons, et afin de porter des fruits de fraternité. L’Eglise catholique par ses documents magistériels y a abondamment contribué, et les rabbins orthodoxes ont publié une déclaration bienveillante envers les chrétiens. Des intellectuels juifs comme Simon Mimouni, Daniel Boyarin et bien d’autres travaillent sur les traditions qui relient les deux communautés.

Un roman comme « le bâtard de Nazareth », indifférent aux convictions majoritaires des historiens sur l’historicité de Jésus, relance les polémiques et offense les consciences chrétiennes en salissant leur figure la plus vénérée, par là-même il complique la progression d’un fructueux dialogue judéo-chrétien.

Jules Isaac avait convaincu le pape Jean XXIII de mettre fin aux attitudes de mépris inhérentes au passé de l’institution chrétienne afin d’ouvrir de nouvelles  relations avec les juifs. Le concile Vatican II y a répondu avec des références théologiques irrévocables pour mettre un terme à l’antijudaïsme. La repentance exprimée ensuite par le pape Jean Paul II a été explicite, et les prises de position pédagogiques à l’égard du peuple chrétien sans ambiguïté.

Tout en préservant les droits légitimes à la liberté d’expression et à l’imagination créative en art et en littérature, ne pourrait-on, de part et d’autre, garder le cap d’une fraternité retrouvée, dans le respect des convictions de chacun, mais en refusant de se prêter à une relance d’anciens affrontements stériles ?

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Abbé Alain René Arbez, prêtre catholique, commission judéo-catholique de la conférence des évêques suisses et de la fédération suisse des communautés israélites, pour Dreuz.info.

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