Publié par Drieu Godefridi le 22 juin 2023

L’un des avantages d’avoir des enfants est qu’ils vous font découvrir des tas de trucs inouïs.

Par exemple, j’ai un fils de 15 ans qui adore les fringues et qui emmène constamment ma carte bancaire à la découverte de nouveaux moyens de maigrir, à Anvers, Bruxelles & ailleurs. Un vrai petit conquistador de la fripe exotique. Le weekend dernier, cet explorateur du chiffon devait absolument de toute urgence me traîner dans l’hypercentre de Bruxelles, pour visiter une boutique d’un abord tout simple et sympa, dont je tairai le nom par craintes de représailles de la mafia albanaise. Disons seulement que c’était dans le Centreville. Comme je divague tranquillement entre les rayons en contemplant les vêtements proposés, évitant de regarder les prix – j’ai l’estomac fragile – mon adorable bambin d’1,85cm surgit sous mon nez avec un magnifique tee-shirt « Tu vois, je ne te demande quand même pas la Lune : un tee-shirt !!! Un simple tee-shirt !!! » Merci, ô merci. On sent tout de suite que toute tentative de dire non serait vécue comme de la maltraitance. Comme nous nous dirigeons donc vers la caisse, par acquit de conscience je jette quand même un œil sur le prix de cet élégant teeshirt sans col : 260 EUR. Moment d’arrêt …

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Mon regard va de l’étiquette au vendeur à la caisse, sorte de géant blond débonnaire largement souriant :

— C’est une blague ? ose-je dans un moment d’éblouissement. 260 EUR pour un tee-shirt ?!

Le sourire se retire aussitôt, avec la même fulgurance que la mer après le tsunami :

— Monsieur. C’est du commerce équitap’.

Ce qui bien entendu termine le débat, comme une intervention de Zakia Khattabi dans une controverse juridique.

— Équitable, équitable. C’est quand même cher, 260 EUR pour un tee-shirt, non ? En quoi est-ce équitable ?

Le géant mobilise toutes ses énergies et s’arc-boute dans une position qui évoque de façon alarmante ‘The Tiger’ que privilégiait Mohammed Ali avant de servir le knock-out + soins intensifs à son adversaire. On sent qu’il lui en coûte, mais il parvient à garder une sorte de calme :

— Monsieur. Ce tee-shirt est fabriqué en Europe avec des matériaux durap’ dans des conditions respectueuses des droits des travailleurs et de l’environnement. Maintenant, si vous préférez de la marchandise fabriquée par des esclaves en détruisant la Planète, vous pouvez toujours aller chez Aldi.

L’expérience m’ayant enseigné qu’il est préférable de rester courtois face à plus fort que soi, surtout quand il s’énerve, je prends l’air de celui qui exploite pleinement l’opportunité qui lui est offerte de méditer de puissants raisonnements. Bref, j’esquive et m’éloigne imperceptiblement de la caisse, à reculons, sous le noir regard de Mike Tyson qui m’invite à remettre la splendeur cotonnée à sa place si d’aventure je devais résister à l’infinie tentation d’acquérir cette pièce unique, ce moment charnière dans le développement de l’art vestimentaire, la Mona Lisa du tee-shirt.

Pendant ce temps, mon adorable de 15 ans prend l’air affligé de Louis XIV à qui on parle d’argent. Coincé entre Mike Tyson et Louis XIV, j’envisage un bref instant de pousser un cri de souris avant de partir en courant, mais je me ravise en me rendant compte que ce ne serait pas honorable.

Tétanisé comme un être vivant qui se retrouve par inadvertance seul avec Jean-Marc Nollet, je fais mine de tâter le tissu, comme si je soupesais le pour et le contre, à l’instar d’un riche collectionneur qui envisage l’acquisition d’un Picasso période pistache.

Et c’est par hasard que mes doigts perçoivent une deuxième étiquette à l’intérieur de l’étiquette en bas à gauche, dans la couture de la Merveille. Je lis : « Designed in Europe. Made in Bangladesh ».

Fou, je repars à l’assaut du comptoir, brandissant l’étiquette :

— Le Bangladesh est membre de l’Union européenne ?

Comme le géant ne pipe mot, je presse mon avantage :

— Et vous, sur ce tee-shirt ‘durap’, vous margez combien ? 2500% ?

Mike Tyson entamant une rotation autour de son comptoir qui ne peut qu’aboutir au smashage de ma face contre un rayon qui à vue de nez doit contenir dans les 3 millions d’euros de tee-shirts ‘designed in Europe,’ Louis XIV et moi nous retirons avec l’empressement de Carl Lewis à Los Angeles, en 1984. 

Parvenus au coin de la rue – le cerbère mange trop, il peine à nous suivre – j’ose un dernier : « Eh ! Mange durap’, gros ! », avant de nous carapater.

Je sais, c’est vilain, c’est mesquin et ça ne sert à rien. 

Mais qu’est-ce que ça soulage !

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Drieu Godefridi pour Dreuz.info.

Publié dans Pan

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