
Catholiques, orthodoxes et protestants se réfèrent tous à la même Bible, biblia, ensemble de livres vénérés comme parole de Dieu, écrite sur des siècles par des hommes inspirés.
Il y a d’ailleurs eu entre les trois confessions chrétiennes une belle expérience de traduction concertée de la Bible, appelée TOB, traduction œcuménique de la Bible. Mais tous ne reconnaissent pas le même canon des livres saints du premier testament. La raison – qu’il vaut la peine d’analyser – en est d’ordre plus historique que théologique.
La partie néo-testamentaire de la bible (Nouveau testament) est la même dans toutes les confessions chrétiennes. Les livres du premier testament portent chez les chrétiens un nom dérivé de leur titre grec (Genèse, Exode, Lévitique…) tandis que dans les bibles du rabbinat (tanakh), ce sont les premiers mots du livre qui le désignent : Bereshit, Shemoth, Wayyiqra…)
Depuis le 16ème s. les Eglises de la Réforme reconnaissent l’autorité doctrinale de 66 livres bibliques, tandis qu’orthodoxes et catholiques continuent d’en reconnaître 72 (ou 73 si l’on sépare les Lamentations du livre de Jérémie).
Pour les catholiques et les orthodoxes, c’est la version de la Septante, rédigée à Alexandrie et fixée en 270 avant JC, qui fait autorité. Seule la version grecque de cette bible antique nous est parvenue, mais les originaux complets étaient en hébreu. Au moment de la Réforme, il y 500 ans, Luther et le protestantisme ont rejeté des livres qu’ils appellent les apocryphes, comme n’étant pas inspirés.
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Bien que le livre de l’Apocalypse ( Apoc 22,19) avertit de ne rien retrancher ni ajouter aux témoignages de la révélation, au 16ème siècle, Luther décida de son propre chef de retrancher certains livres de la bible officiellement en vigueur depuis l’an 382, lorsque le pape Damase désignait au concile de Rome tous les livres reconnus comme véritablement inspirés. Parmi eux se trouvaient les 7 livres deutérocanoniques : Livre de Judith, livre de Tobie, passages grecs du livre d’Esther, 1er et 2nd livre des Macchabées, livre de la Sagesse, livre de Ben Sira, livre de Baruch, auxquels s’ajoutent quelques passages grecs du livre de Daniel.
L’argument théologique de Luther est que seul est valide le canon tardif fixé en l’an 90 par les rabbins de Yavné lors du Conseil qui redéfinissait les critères du judaïsme dans une conjoncture complexe. En effet, le conseil de Yavné précisait le profil du judaïsme de l’après temple (détruit par les Romains en 70) et se positionnait par là-même face à l’expansion des premières communautés chrétiennes, organisées bien avant cette étape de refondation. Une malédiction excommunicative était ainsi ajoutée aux 18 bénédictions du Shemone Esre : cela concernait les « minim », dissidents divers parmi lesquels figuraient entre autres les disciples de Jésus. Plusieurs décennies après les débuts du christianisme, le conseil de Yavné ne pouvait ignorer les chrétiens, (ou plutôt les juifs reconnaissant Jésus comme Messie) en rapide expansion. Afin de recentrer les critères de ce nouveau judaïsme, il fut donc décidé de contrer le mouvement christique en restreignant ses références bibliques.
C’est justement sur la décision conjoncturelle du Conseil de Yavné que Luther fonde sa décision. Or ce Conseil rabbinique redéfinissait pour des raisons de concurrence confessionnelle la liste des livres sacrés qu’il voulait reconnaître, tout en éliminant certains livres antérieurement pratiqués au temple et à la synagogue, et particulièrement chers aux nouvelles communautés messianiques. L’ensemble des saintes Ecritures (Septante) avait été traduit en grec à Alexandrie afin de rejoindre les juifs de culture hellénistique nombreux en diaspora. L’ensemble de ces livres en langue hébraïque ou en langue grecque était la seule référence reconnue par les juifs depuis des siècles et les premiers chrétiens les pratiquaient dans la continuité. (Certains autres livres disparus sont même mentionnés, comme le Livre d’Hénoch dans le livre de Judith, et l’Epître aux Laodicéens dans Co. 4,16).
En Actes 17, 10-15, il est question des Béréens, souvent cités en milieu protestant pour valoriser l’autorité de la parole de Dieu. Mais paradoxalement, les Béréens utilisaient régulièrement ces livres exclus par Yavné et par Luther.
Cependant il est à noter que les premières bibles protestantes gardèrent jusqu’à la moitié du 19ème s. les livres deutérocanoniques en appendice. C’est la British and foreign society, société anglaise militante de diffusion biblique, qui fit pression pour les éliminer complètement.
Le Nouveau Testament comporte environ 350 références à des versets du premier Testament hébraïque. On constate que 300 de ces 350 mentions sont issues de la Septante !
Jésus lui-même cite des passages de la Septante, ce qui veut dire que ses paroles se réfèrent à des livres que Luther considère comme apocryphes. Quelques exemples : Mat.6,10 = 1 Maccabées 3,60. Mat. 6,12= Siracide 28,2. Mat.6,13 = Sir. 33,1. Mat. 7,12 et Luc 6,31 = Tobie 4,16. Mat. 13,43 = Sagesse 3,7. Mat. 16,18= Sagesse 16,13. Mat.24,16= 1 Maccabées 2,28. Marc 9,47= Judith 16,17. Luc 13,29= Baruch 4,37. Luc 21,24= Sira. 28,18. Jean 1,3= Sagesse 9,1. Jean 3,13 = Baruch 3,29. Jean 4,48 = Sagesse 8,8. Jean 5,18 = Sagesse 2,16. Jean 6,35 = Sira 24,21. Jean 15,6 = Sagesse 4,5. Etc, etc.
Les propres paroles de Jésus dans l’évangile se réfèrent à des livres que Luther a laissés de côté et veut ignorer. Il est cependant difficile de justifier l’idée que ces livres de référence appréciés par Jésus ne soient pas inspirés.
Dans les Actes des Apôtres, et les Epîtres, nombreuses sont les mentions précises de livres considérés comme apocryphes par Luther, comme Siracide, Sagesse et Maccabées. Cf Act 10,34. 17,29. Rom 1,18. Cor 2,16. Cor, 10,1. Tim 6,15.
L’Eglise primitive existait depuis une soixantaine d’années lorsque furent prises les décisions restrictives du conseil de Yavné, produisant ce nouveau canon biblique ignorant la pratique juive antérieure et que Luther adopta tel quel. Ces livres censurés faisaient partie du canon antique du Premier testament, et c’est en 1546 que fut officialisée la liste des livres bibliques pour l’Eglise catholique.
Catholiques et orthodoxes sont d’accord pour reconnaître la validité des Ecrits de la Septante, traduction grecque fiable de la Bible hébraïque antérieure. Ce qui signifie que ces Eglises respectent l’intégralité de la révélation hébraïque en gardant précieusement les livres rejetés et appelés deutérocanoniques par la Réforme. C’est une manière d’honorer la recherche passionnée de la Veritas Hebraïca tant recherchée par St Jérôme au moment de sa traduction latine de la Vulgate grecque.
Espérons que, grâce aux suggestions de l’Esprit, les cheminements de l’œcuménisme feront aboutir de meilleures convergences entre confessions chrétiennes, pour autant que celui-ci s’alimente aux sources originelles plutôt qu’aux convenances mondaines.
Sans véritable dialogue judéo-chrétien, sans interaction rétrospective entre histoire et théologie, l’œcuménisme resterait lettre morte comme le sont, pour certains, ces livres bibliques disqualifiés. Tout ce qui renforce l’impact du message biblique et ses valeurs inégalables sera vital pour nos sociétés en profonde déshérence spirituelle.
Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Abbé Alain René Arbez, prêtre catholique, commission judéo-catholique de la conférence des évêques suisses et de la fédération suisse des communautés israélites, pour Dreuz.info.
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Monsieur l’Abbé,
Pour illustrer la nécessité de transmettre l’intégralité des textes fondateurs du christianisme, je me permets de signaler l’exemple fourni par la ‘BIBLE CRAMPON’,diffusée par les Editions DESCLEE et Cie (en mars 1960). Le chanoine Crampon eut le mérite de préciser qu’aucun texte ne devait être ajouté ou supprimé des écrits bibliques initiaux pour assurer au croyant un accès ‘ne varietur’ à la connaissance de la Révélation, sans “s’aventurer sur des chemins nouveaux” Nous pouvons y trouver aujourd’hui une argumentation à opposer aux conceptions ‘progressistes’ actuellement développées par le pape FRANCOIS ….(?) en opposition aux magistères écclésiastiques précédents pronant une fidélité totale aux messages bibliques.
Bonne soirée
Ce qui n’empêche pas Jérôme de contester plusieurs écrits – tout en les incluant dans ses traductions – comme étant suspects, il qualifiait ces écrits de « contes profanes » par rapport aux 39 « livres inspirés ».
Par ailleurs, ces livres apocryphes ont probablement été rejetés parce que l’on y puise les arguments qui légitiment les indulgences, le purgatoire, les prières pour les morts, l’invocation des saints, etc. en opposition totale à ce que les 66 livres enseignent.
(Juste un exemple pour illustrer : “les morts ne savent rien, et il n’y a pour eux plus de salaire, puisque leur mémoire est oubliée. Et leur amour, et leur haine, et leur envie, ont déjà péri; et ils n’auront plus jamais aucune part à tout ce qui se fait sous le soleil”. Ecclésiaste 9:5
La prière pour les morts n’est pas la “prière aux morts” comme le racontent certains milieux. C’est tout à fait biblique de prier pour le salut des défunts et le Livre des Martyrs d’Israel rejeté par Luther en vertu de cette fausse interprétation reste un écrit instructif qui rappelle la solidarité entre ceux qui nous ont précédés et ceux qui pérégrinent encore sur terre. Jésus l’a affirmé: il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants…
Ce n’est pas ce qui nous est enseigné en Luc 16 où le riche, tourmenté dans le séjour des morts, implore de prévenir ses frères de ce qui les attend, et à qui il est répondu : “Un grand abîme est établi entre nous et vous, afin que ceux qui veulent passer d’ici vers vous ne le puissent, et que ceux qui sont de là, ne traversent non plus vers nous”.