Publié par Jean-Patrick Grumberg le 16 août 2023

Le Niger est le dernier pays d’Afrique de l’Ouest où l’armée a pris le contrôle, après le Burkina Faso, la Guinée, le Mali et le Tchad, tous d’anciennes colonies françaises.

Depuis 1990, 78 % des 27 coups d’État survenus en Afrique subsaharienne ont eu lieu dans des États francophones – on applaudit – ce qui a amené certains commentateurs (pas trop dans les médias français) à se demander si la France n’était pas à blâmer.

L’histoire et les faits apportent un certain soutien à ces griefs. Le régime colonial français a mis en place des systèmes politiques conçus pour extraire des ressources précieuses tout en utilisant des stratégies répressives pour garder le contrôle. Ce qui caractérise le rôle de la France en Afrique, c’est la mesure dans laquelle elle a continué à s’immiscer dans la politique et l’économie de ses anciens territoires après l’indépendance.

  • Sept des neuf États francophones d’Afrique de l’Ouest utilisent encore comme monnaie le franc CFA, qui est rattaché à l’euro et garanti par la France, un héritage de la politique économique française à l’égard de ses colonies, qu’elle contrôle par ce biais.

Sous Issoufou, le Niger s’était fortement orienté vers la France. Mais le putsch a montré à quel point les relations entre le Niger et la France sont restées inégales – et constitue un exemple d’avertissement.

Le Niger, fournisseur d’uranium de la France

Lorsque le Niger était encore une colonie, la France avait déjà découvert ses immenses gisements d’uranium. La France a besoin de ce métal pour ses centrales nucléaires et l’exploite dans son ancienne colonie par le biais de son entreprise publique “Orano”, qui brasse des milliards. Ou plus exactement, elle le fait extraire.

Ce n’est qu’en mai 2023 que le groupe public Orano et le Niger renouvellent un nouvel accord qui prolonge l’exploitation de l’uranium jusqu’en 2040 au moins. Sur place, Orano, dont le chiffre d’affaires annuel dépasse 4,2 milliards d’euros, s’engage à investir 40 millions d’euros dans des “projets sociaux”.

France néocoloniale et corrompue

Les relations entre les dirigeants politiques français et leurs alliés en Afrique étaient souvent corrompues, créant une élite puissante et riche aux dépens des citoyens africains.

Lorsque Greenpeace visite les localités d’Arlit et d’Akokan au Niger en 2010, les conséquences de l’exploitation minière de l’uranium apparaissent : selon le rapport, les niveaux de radiation dans les rues d’Akokan étaient 500 fois plus élevés que la normale. A Arlit, les valeurs dans quatre échantillons sur cinq dépassaient le seuil de recommandation de l’Organisation mondiale de la santé.

Les Nigériens reprochent à la France de néocoloniser le pays et de ne pas tenir compte des hommes et de la nature. Ainsi, à ce jour, seuls 20 pour cent des Nigériens ont l’électricité.

C’est dans ce contexte que le terme Françafrique a été inventé par François-Xavier Verschave – et pas dans le sens que vous l’imaginez.

Pour Verschave, éminent économiste français, le terme Françafrique désigne une relation néocoloniale cachée par “la criminalité secrète dans les échelons supérieurs de la politique et de l’économie françaises, où se cache une sorte de République souterraine” qui a permis de “détourner” d’importantes sommes d’argent.

Le Niger voulait arrêter l’émigration

  • En raison de sa situation centrale, de nombreuses personnes fuient des pays africains vers l’Europe via le Niger.
  • Dans ce contexte, le gouvernement francophile du Niger adopte en 2015 une loi qui apporte des milliards d’euros de l’UE dans le budget en difficulté du pays.
  • Mais les milliards alloués au budget nigérien ne parviennent évidemment pas à la population. Selon le professeur Robert Kappel, économiste du développement, l’aide au développement représente certes 40 pour cent des recettes de l’Etat, mais à peine un pour cent de la population en profite : la France et l’UE ont soutenu cela sans réfléchir.

Donc, la défense contre la migration ne marche pas, la population locale ne profite pas des aides, et continue à émigrer, mais la France continue son exploitation des matières premières… tout baigne.

En revanche, l’aversion pour la France et l’Europe ne cesse de croître.

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Le Niger pourrait se tourner vers la Russie

Même si la motivation du leader putschiste Tiani n’est pas directement liée à une aversion pour la France en particulier, et le Nord en général, il apparaît une fois de plus que la politique africaine de la France a échoué.

La France n’a tout simplement pas réussi ou voulu que la population du Niger profite du partenariat.

La diplomatie français a commis erreur sur erreur

La France a commis des erreurs psychologiques, et des fautes stratégiques que des diplomates un peu intelligents auraient évité.

  1. Elle a envoyé au Niger des unités militaires spéciales qui étaient auparavant stationnées au Mali.
  2. Cela ne plaisait pas à tous les Nigériens, et par arrogance et bêtises des hauts-fonctionnaires du Quai d’Orsay, elle a méprisé toutes les signes indicateurs.
  3. La population civile ne se sentait pas protégée par les militaires français, mais les considérait comme un simple prétexte pour exploiter les riches ressources du Niger. La France le savait, elle n’a rien fait. Ou n’a rien su quoi faire.
  4. Certains officiers partagent également cette opinion, parmi lesquels les putschistes eux-mêmes.

Après le Mali – l’autre grand désastre de la stupidité du gouvernement Macron – et le Burkina Faso, le Niger est le prochain pays du Sahel à dire non aux colonisateurs, et pourrait se tourner vers la Russie.

La France a trop souvent détourné le regard lorsqu’il s’agissait du Niger, préférant se préoccuper de son propre bien-être. Les Français le payent avec une immigration dont ils ne veulent pas, une immigration souvent très violente, agressive, hostile et largement incapable de contribuer à l’économie (sauf souterraine).

Conclusion pour la France

Ces dernières années, la capacité de la France à assurer l’ordre en Afrique s’étant détériorée du fait de son appauvrissement, l’obligeant à rogner sur ses dépenses militaires, elle est devenue de plus en plus exposée et vulnérable aux critiques.

Le coup d’État au Niger est un signal d’alarme pour Macron, pour les hauts-fonctionnaires, ses clones, tous trop arrogants pour comprendre et tirer les leçons de leur échec – mais il est de tradition que les échecs des dirigeants sont toujours payés par le peuple. Rien ne changera.

Il serait temps que la France mette fin à sa politique de Françafrique et commence à soutenir une gouvernance démocratique. Elle ne le peut pas.

Pour paraphraser Jean-François Kahn :

“les hauts-fonctionnaires français, dans leur immense majorité, sont issus du même milieu, formés à la même école d’administration, fréquentant les mêmes espaces, porteurs des mêmes valeurs, imprégnés du même discours, façonnés par la même idéologie, structurés par les mêmes références, ayant souvent connu la même évolution ou le même cursus, [et ils] finissent pas penser presque tous pareils”.

Si la France ne change pas de cap, elle continuera à être impliquée dans l’instabilité et la violence au Niger, et les Français en subiront les conséquences – sur leur sol.

Conclusion pour le Niger

Comment dit-on “kif-kif bourricot” en nigérien ?

Il ne fait aucun doute que la politique russe au Niger accorde peu de priorité à l’État de droit (pas plus que la France) et à la démocratie (idem que la France) ; qu’elle n’a aucun problème avec la corruption du gouvernement (la France n’en a pas non plus). Ce qui intéresse la Russie, c’est le profit de l’exploitation des matières premières (c’est ce qui intéresse aussi la France).

Ki-kif bourricot, la seule différence est que les Russes revendront peut-être demain l’uranium nigérien à la France…

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Jean-Patrick Grumberg pour Dreuz.info.

Sources pour la rédaction de cet article :

Quelques cas célèbres de corruption impliquant la France en Afrique :

  • Scandale Elf Aquitaine (années 1990)
  • Scandale de l’uranium (années 2000)
  • Scandale Sonatrach (années 2010)
  • Scandale Benjamin Griveaux (2020)
  • Concession portuaire à Lomé, Togo (2018)
  • Marché d’armes Dassault-Buyoya (Comores) (années 1990)
  • Scandale du Sommet de la Francophonie (Congo-Brazzaville) (2014)
  • Scandale Gupta-Zuma (Afrique du Sud)
  • Scandale du pétrole contre nourriture (Tchad) (années 2000)
  • Contrats miniers guinéens (Simandou) : (2016)
  • Biens de la famille Bongo (Gabon)
  • Scandale Elf en Angola (années 1990)
  • Lafarge et la Syrie (Impact indirect sur l’Afrique) (2000)
  • Acquisition d’Uramin (Namibie, Afrique du Sud) (2007)
  • Contrat d’eau en Mauritanie (années 2000)
  • Scandale de corruption chez Airbus (divers pays africains)
  • Contrats Areva et Niger pour l’uranium (Niger)
  • Financement illégal de parti politique français (divers pays africains)
  • Banques françaises et blanchiment d’argent (divers pays africains)
  • Scandale du pétrole contre nourriture (Bénin)
  • Allégations de corruption concernant l’uranium du Niger (Niger) : Outre l’affaire Areva mentionnée plus haut, des allégations plus larges de corruption et d’exploitation liées à l’extraction et à l’exportation d’uranium au Niger ont été formulées à l’encontre de diverses sociétés, y compris des intérêts français.
  • Ventes d’armes françaises et conflits africains
  • Corruption dans l’industrie pétrolière (Guinée équatoriale, République du Congo)
  • Affaire Louis Berger d’Ibobi Singh (Inde et île Maurice)
  • Etc.

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