Publié par Abbé Alain René Arbez le 8 octobre 2023

33 Écoutez une autre parabole. Il y avait un homme, maître de maison, qui planta une vigne. Il l’entoura d’une haie, y creusa un pressoir, et bâtit une tour; puis il l’afferma à des vignerons, et quitta le pays.

34 Lorsque le temps de la récolte fut arrivé, il envoya ses serviteurs vers les vignerons, pour recevoir le produit de sa vigne.

35 Les vignerons, s’étant saisis de ses serviteurs, battirent l’un, tuèrent l’autre, et lapidèrent le troisième.

36 Il envoya encore d’autres serviteurs, en plus grand nombre que les premiers; et les vignerons les traitèrent de la même manière.

37 Enfin, il envoya vers eux son fils, en disant: Ils auront du respect pour mon fils.

38 Mais, quand les vignerons virent le fils, ils dirent entre eux: Voici l’héritier; venez, tuons-le, et emparons-nous de son héritage.

39 Et ils se saisirent de lui, le jetèrent hors de la vigne, et le tuèrent.

40 Maintenant, lorsque le maître de la vigne viendra, que fera-t-il à ces vignerons?

41 Ils lui répondirent: Il fera périr misérablement ces misérables, et il affermera la vigne à d’autres vignerons, qui lui en donneront le produit au temps de la récolte.

42 Jésus leur dit: N’avez-vous jamais lu dans les Écritures: La pierre qu’ont rejetée ceux qui bâtissaient Est devenue la principale de l’angle; C’est du Seigneur que cela est venu, Et c’est un prodige à nos yeux?

43 C’est pourquoi, je vous le dis, le royaume de Dieu vous sera enlevé, et sera donné à une nation qui en rendra les fruits.

Matthieu 21:33-43

Ce texte est porteur d’un message provocateur, et pour cette raison, on risque de le schématiser. Durant de longues époques d’incompréhension spirituelle, on en avait même fait une théologie de la substitution, qui après des siècles est dénoncée au Concile Vatican II comme fausse et inappropriée : en effet, à partir de cette parabole on a longtemps affirmé que l’Eglise avait pris la place d’Israël, alors que comme le rappelle St Paul, Dieu ne reprend jamais ses promesses, ses dons sont irrévocables.

En fait, ce que la parabole met en cause, ce n’est pas tout le peuple d’Israël, ce sont les grands prêtres et les chefs du peuple : or, à l’époque de Jésus ils ne sont plus représentatifs du judaïsme des pères, puisqu’ils sont les fidèles supplétifs de l’occupant romain qui les a lui-même mis en place dans son seul intérêt et au détriment du peuple, surtout des plus humbles.

Ainsi, lorsque Jésus en colère renverse les tables des changeurs et des marchands dans le Temple de Jérusalem, c’est d’abord au pouvoir abusif des Sadducéens et à leur détournement des fonds qu’il s’en prend. Ce n’est pas le rôle initial du Temple lieu de prière et de sacrifices qui est mis en cause, et encore moins l’ensemble du peuple appelé à la sainteté. C’est l’errance des dirigeants qui ne remplissent plus leur mission de guides éclairés au service de tous. C’est pourquoi lire la parabole comme une condamnation d’Israël ou son exclusion en raison des fautes de ses chefs (déjà clairement dénoncées par ses propres prophètes) serait déformer le message de cet évangile.

En effet, prétendre que les Juifs sont exclus du salut de Dieu ne fait pas partie de la théologie chrétienne fondamentale, il n’y a jamais eu de dogme qui affirmerait cela. C’est ce qu’a tenu à affirmer le concile Vatican II dans sa remise à jour, et les textes du magistère qui ont suivi ont encore renforcé cette mise au point. Le pape Jean Paul II avait tenu à clarifier explicitement la permanence d’Israël en 1980 : ainsi lors d’un voyage en Allemagne, il affirme que l’Alliance de Dieu avec Israël n’a jamais été annulée, parce que les promesses de Dieu sont irrévocables – et que par conséquent la vocation du peuple choisi par Dieu reste toujours d’actualité.

L’Eglise est greffée sur ce tronc de la révélation. Dans l’évangile des “vignerons homicides”, nous voyons bien que la seule rupture dont il est question ici est essentiellement celle de l’infidélité de tous les hommes envers Dieu, comme l’avaient souligné de très nombreux passages de la Bible. L’évangéliste construit précisément son texte à partir du poème d’Isaïe, où le thème est déjà celui de la vigne, passionnément soignée par Dieu, mais hélas incapable de donner la qualité de fruit escomptée.

Ce message, critique envers la fragilité humaine, est amplifié ici pour être appliqué au sort tragique que les notables sadducéens et hérodiens – de connivence avec les Romains – vont réserver au Christ lors de la passion, où se rejoue à l’identique le sort funeste des prophètes antérieurs.

Les fruits de la Vigne dont il est question, cela correspond à quoi ? C’est tout simplement les comportements vertueux que Dieu attend de ceux qui se disent croyants en l’alliance, et qui prennent au sérieux sa Parole d’amour pour l’humanité. Les fruits, ce sont les résultats concrets que doit produire- dans les situations quotidiennes- cette Alliance avec Dieu.

Jésus le rappelle souvent : un bon arbre doit donner de bons fruits : pour autant que les racines puisent dans la sagesse de l’Ecriture, et que la sève vienne vraiment de l’Esprit de Dieu – alors les fruits seront nombreux et magnifiques : bonté, générosité, bienveillance, esprit pacifique et juste, respect des autres, compassion…

Pour Jésus qui s’inspire des psaumes de David, le juste est en effet souvent comparé à un arbre aux racines profondes. C’est de là que vient son véritable dynamisme, qui permet toutes les croissances, au point que les oiseaux du ciel, c’est à dire les vertus spirituelles les plus admirables, viennent joyeusement égayer ses branches, et ce chant, c’est celui d’une vie réceptive à l’Esprit, qui se fait louange à Dieu.

La vigne, c’est la communauté des croyants que Dieu soigne en l’entourant de toute son attention pour qu’elle donne son fruit.

Malheureusement, comme l’ont souvent dit les prophètes, ceux qui venaient rappeler cette vérité sont maltraités, éliminés. C’est le même sort dramatique qui attend Jésus, lui, le Fils, qui incarne et récapitule toute la sagesse d’Israël dans sa personne. Il est donc l’héritier par excellence, la figure accomplie de la vigne aux fruits de qualité.

Ce n’est pas par hasard que Jésus présente solennellement la coupe de vin au moment où il partage l’eucharistie avec ses disciples ! La vigne donne son fruit pour le banquet du Royaume. C’est en ce sens que chaque partage eucharistique annonce le monde à venir.

Matthieu avertit que l’accès au Royaume de Dieu sera confié à d’autres guides que les chefs actuels du peuple qui sont compromis – car les docteurs de la loi et les grands prêtres (qui auraient dû rendre le règne de Dieu accessible à tous) sont devenus des écrans qui empêchent la lumière de Dieu de rayonner.

Cependant il existe à l’époque de Jésus de muliples courants spirituels : par exemple, il y a les Esséniens qui vivent en communauté comme des moines à l’écart de Jérusalem, dans un lieu désertique : dans l’obéissance, la pauvreté et la chasteté, ils considèrent qu’eux seuls représentent le petit reste du véritable Israël et ils contestent le pouvoir illégitime des grands prêtres du Temple, corrompus et soumis aux Romains. Il y a aussi les Samaritains, issus du Royaume du Nord, qui – avec leur culte déviant – ne sont pas d’accord avec les Judéens du sud, et pour cela, mal considérés.

Les disciples de Jésus sont l’expression du peuple fidèle à Dieu et précisément, s’il y a Douze apôtres, c’est toujours pour représenter les douze Tribus d’Israël.

Pour nous chrétiens d’aujourd’hui, ce message d’évangile garde toute sa capacité de remise en question. Car nous risquons nous aussi – comme certains des contemporains de Jésus – de nous croire seuls détenteurs des dons de Dieu, alors que la mission nous est confiée gratuitement, dans le but de permettre à tous d’avancer sur le chemin du Royaume.

La lumière que nous recevons n’est pas là pour être confisquée mais pour rayonner et elle a donc besoin d’être transmise à ceux et celles que nous côtoyons, quel que soit leur profil, car tous sont appelés par Dieu. Comme pour nous, la réponse par oui ou par non appartient à chacun, c’est le bilan de toute une vie qui en jugera….

Amen

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Abbé Alain René Arbez, prêtre catholique, commission judéo-catholique de la conférence des évêques suisses et de la fédération suisse des communautés israélites, pour Dreuz.info.

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